Les réponses de Mr Patrick B. Renauld

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Patrick B. Renauld

Responsable de la Délégation Européenne Régionale en Jordanie

Biographie de Mr Patrick B. Renauld

    • Né en 1948, Patrick B. Renauld est marié et a quatre filles.
    • Il est diplômé de droit public et d'économie de l'Université Paris- Nanterre
    • Après une courte période au Ministère des finances à Paris, il rejoint la Commission européenne à Bruxelles où il participe successivement aux négociations pour les nouveaux accords avec les pays de la méditerranée et de l'Uruguay Round.
    • De 1988 à 1994 il est Conseiller Economique à la Délégation de la Commission à Rabat puis Conseiller Politique et Economique à Alger.
    • A la fin de la guerre, en 1996 il est nommé Deputy Special Envoy à Sarajevo.
    • De 1998 à 2001 il est en charge de la reconstruction des Balkans à Bruxelles.
    Ambassadeur, Chef de Délégation à Beyrouth en 2001, il prend la responsabilité de la Délégation Régionale en Jordanie en novembre 2006.

Réponses de Mr Patrick B. Renauld


1. Au-delà de l’argent reçu pour des projets, pourquoi les pays arabes du Sud devraient-ils entretenir des relations privilégiées avec l’Union européenne?

Nous sommes voisins et c'est un principe de vie et d'intérêt commun que d'avoir de bonnes relations avec ses plus proches voisins; un principe qui fait partie de la culture arabo-musulmane et européenne. Nous partageons une histoire commune, et cela nous permet d’avoir la compréhension et la complicité nécessaires pour construire ensemble. Bâtir des projets entre partenaires c'est un moyen de se parler, d'échanger et de transférer des connaissances, de perfectionner notre savoir-faire. L'argent des projets n'est qu'un outil.

Parmi nos projets, beaucoup privilégient la relation entre les pays arabes du Sud. Le processus d'Agadir en est un exemple qui constitue maintenant un marché potentiel de 120 millions de personnes. Des relations privilégiées avec l'UE c'est aussi agrandir son espace de liberté de mouvements. Mouvements des marchandises mais aussi et de plus en plus mouvements des personnes.

2. Est-ce qu’il y eu un changement d’attitude ou de programmes de l’Union européenne avec ses partenaires méditerranéens à l’ombre de la récente crise économique mondiale?

La politique de voisinage de l'Union Européenne est bâtie sur le principe de dialogue et d'adaptation permanents. Les programmes sont établis avec nos partenaires sur la base de leur plan national. Cela signifie que lorsque leurs besoins changent, du fait d'une crise par exemple, l'UE adapte les programmes en fonction de ces besoins. La crise nous a naturellement amenés à privilégier les appuis budgétaires pour aider nos partenaires à faire face à leurs déficits. Cela étant, le budget de l'UE n'est pas extensible et nous souffrons également de la crise. Nous n'avons donc pas pu augmenter autant que nous le souhaiterions le volume total de notre soutien.

3. 
Quelle est l’utilité de mener des projets de développement et de construction à Gaza, alors que le blocage continue, ainsi que les bombardements israéliens?

Faut-il abandonner le soutien économique aux Palestiniens parce que nous n'avons pas encore réussi à trouver la solution à un déblocage politique? Nous sommes obstinés et nous continuerons à apporter toute l'aide que nous pourrons à une population qui souffre. Et cela même si nous voyons notre travail détruit. C'est inutile? Je ne crois pas. Si certains jugent inutile notre action, nous sommes ouverts aux échanges constructifs pour une meilleure gestion de l’aide aux Palestiniens.

 



4. Comment se fait le choix des programmes à exécuter (en qualité et en quantité) s’agissant d’un pays ou d’un autre des partenaires méditerranéens?


Les programmes exécutés avec nos partenaires sont décidés d'abord dans le cadre d'une politique régionale. Pour ce qui concerne les pays de la Méditerranée, il s'agit de la "Politique Européenne de Voisinage" pour laquelle le Parlement européen vote un budget pour une période de cinq ans. Le montant est fixé en fonction de la population du pays partenaire et de ses besoins. Ensuite un programme de soutien est établi avec les autorités nationales sur la base de leur plan national. Soit il s'agit d'appuis budgétaires, soit de financements de projets et d’assistance technique.

Pour les appuis budgétaires, les déboursements sont effectués en fonction de cibles à atteindre, déterminées d'un commun accord. Les montants de financement sont fixés avec le partenaire.

Dans la mesure où l'administration du partenaire en a la capacité, c'est elle qui gère et met en œuvre les projets avec un monitoring de la Délégation présente dans le pays.

Le plus souvent, nous procédons à un jumelage entre l'administration d'un pays européen et celle du partenaire. Cette méthode est plus efficace que l'utilisation de consultant car entre administrations d'un même secteur (eau, justice, travaux publics) il y a un langage commun et l'échange est plus facile.

5. 
Je pense que le financement des PME devrait être la priorité partout, vu l’efficacité cumulé et l’effet d’entraînement d’une telle action (sur le développement, l’emploi, la pauvreté…); qu’en pensez-vous?

Vous avez raison, les PME constituent le tissu indispensable de toute économie par leur remarquable capacité d'adaptation, d'innovation et donc de création d'emplois. Avec la Banque Européenne d'Investissement (BEI), nous favorisons la création de pépinières d'entreprises autant que nous le pouvons. Dans le cadre du développement local, nous venons de lancer dans les municipalités un programme de soutien technique pour promouvoir la création de PME. Cependant, pour créer une PME il faut un entrepreneur. Un entrepreneur c'est quelqu'un qui accepte de prendre un risque. Pas un risque à huit jours ou un mois, un risque à cinq ans, voire dix ans. Pas un risque spéculatif mais un risque productif. Il nous faut développer cette culture du travail durable et pas du profit immédiat qui, à tous les stades, nous a entraînés dans la crise que nous connaissons.

 



6. 
Nous ne savons toujours pas comment l’Europe peut aider à la résolution du problème du Sahara occidental; avez-vous une idée là-dessus?

L'Europe a connu 100 guerres en 1000 ans. Ce n'est qu'en bâtissant sur des intérêts communs que nous avons réussi depuis 65 ans à ne plus nous battre pour des territoires, des provinces, des frontières. Il reste aux Algériens et aux Marocains à trouver l'acier et le charbon qui ont été le ciment européen. De manière générale, l'UE n'a pas l'ambition de résoudre les conflits qui existent entre ses partenaires, ce serait de l'ingérence. Son ambition et son intérêt sont de partager ses valeurs et son expérience avec ses voisins. Je crois dans l'effet d'imitation des expériences positives. Je crois aussi qu'on ne devient un véritable partenaire de l'UE que lorsqu’on a réussi à mettre en œuvre, ensemble, les principes de l'Accord d'Association que nous avons signé. C'est un long et exigeant chemin.

7. Concernant la situation économique arabe en général, est-ce que le facteur important est la richesse nationale ou la bonne gouvernance? Et est-ce que les pays arabes méditerranéens avancent plutôt sur l’un ou sur l’autre de ces 2 niveaux?

La bonne gouvernance est selon l'avis des économistes le meilleur moyen de créer de la richesse nationale. La sécurité juridique est un élément essentiel de l'attraction de l'investissement productif. Si les règles de concurrence, de gestion, de financement, de marchés, etc.… et leur application ne sont pas claires ou ne sont pas appliquées, l'investisseur ne risquera pas son patrimoine. Sauf pour un investissement spéculatif ou un blanchiment d'argent.

Cela étant, la notion de richesse nationale me paraît trop globale pour être utile. Je préfère l’Index de développement humain (IDE) employé par les Nations Unies, qui reflète mieux le degré de développement d'un pays et la répartition de sa richesse nationale. Il existe une véritable interaction et relation entre l'IDE et la bonne gouvernance.

Le principe de bonne gouvernance est acquis par l'ensemble des pays arabes mais appliqué de manière inégale. Certains dont la richesse nationale est importante du fait de leurs ressources naturelles n'ont pas encore acquis un autre principe lié à la bonne gouvernance, celui de durabilité. La durabilité est fondée sur le respect de la terre qui nous supporte et sur le respect de l'homme qui la peuple. Ce sont les crises et les révolutions qui font comprendre un jour le sens de la durabilité à nos gouvernants. C'est dommage mais c'est ainsi.

 



8. Le «Statut avancé» du Maroc, consacré récemment par un sommet euro-marocain, comment sera-t-il bénéficiaire à ce pays ? Et, que doit faire ce pays pour garder un tel statut, surtout au niveau des droits de l’homme? Enfin, quel autre pays est actuellement candidat à avoir ce statut?

Enneko Landaburu, Chef de la délégation au Maroc est mieux placé que moi pour répondre à cette question. Y ayant vécu quatre années comme conseiller économique, il y a vingt ans, je me permettrai néanmoins de me réjouir de ce nouveau statut pour le Maroc. Il prouve sa compréhension qu'un Etat ne peut plus se développer seul et isolé de ses voisins. Il prouve son engagement dans l'avenir et sa véritable volonté d'acquérir "l'acquis communautaire". Drôle de terme qui constitue l'ensemble des principes et règles que l'Union Européenne s'est imposée pour fonctionner aujourd'hui avec 27 membres. Des règles de développement économiques, juridiques, politiques, mais surtout des principes de droit humain, de respect et de dignité. Il prouve aussi que nos voisins méditerranéens réagissent et interagissent vis-à-vis du partenariat que nous leur proposons. C’est un succès non seulement pour le Maroc mais aussi pour l’Europe.
A terme, je vois deux principaux bénéfices pour le Maroc: une plus grande liberté des mouvements des personnes et une plus grande liberté des mouvements de capitaux. Le fait que le Maroc suive les mêmes principes de comportement et d'action que ceux pratiqués dans l'UE, ouvre naturellement les portes dans les deux sens.
Actuellement, Israël, la Jordanie et l'Egypte négocient un statut avancé. Le Liban semble intéressé.

9. J’ai remarqué récemment que l’octroi de visas d’étudiant dépend de la qualité des relations entre l’UE et le pays concerné. Je suis étudiant syrien et j’ai souffert de cette situation; comment expliquez-vous cela? Est-ce normal?

J'ai souffert du même problème que vous et je pense qu'à une époque où la communication n'a plus de frontières, les mouvements des personnes doivent suivre la même évolution. Nous avons mis du temps à mettre en place cette liberté entre les Etats membres de l'Union Européenne et cela malgré une relation politique de plus en plus étroite.

Aujourd'hui, il paraît naturel aux étudiants européens de commencer leurs études dans un pays et de les terminer dans un autre.

La négociation de l'Accord d'Association qui est engagée entre la Syrie et l'UE devrait vous donner bientôt cette opportunité. .

10. Pouvez-vous nous dire quel pays, parmi ceux dans lesquels vous avez travaillé, est le plus proche de vous, et de l’Europe?

Quelle Europe? L'Europe de la Baltique, celle de l'Atlantique ou celle de la Méditerranée? L'Europe c'est la diversité née d'un brassage continuel de peuples, de cultures, de religions. Avec les pays du sud de la Méditerranée, les pays de l'Europe ont une longue histoire d'amour faite de crises et de paix, de vaisselles brisées et d'attachements profonds. Ce sont toutes ces histoires entre les peuples qui ont créé des proximités. Ce sont les histoires des Etats qui ont créé les éloignements.

Je ne crois pas que je pourrais faire mon métier correctement si je ne recherchais pas à créer une vraie relation avec le pays qui m'accueille. Je crois avoir réussi avec tous les pays où j'ai travaillé.

11. Vous avez travaillé dans nombre de pays arabes et islamiques; est-ce que, en tant qu’économiste, vous pensez que les réglementations économiques et financières islamiques peuvent être valables ou bénéfiques dans des pays européens (comme l’ont suggéré certains suite à la crise financière mondiale)?

Certaines règles financières appliquées par les banques islamiques, notamment leur prudence de gestion qui réduit les jeux spéculatifs, devraient servir de modèle aux pays européens. Une grande partie de la crise financière que nous connaissons aurait pu être évitée si nous les avions suivies.

Cela dit, ce ne sont pas seulement les banques qui font ou défont l'économie d'un pays mais la gestion de son gouvernement et le degré de bonne gouvernance qu'il veut bien y établir. Ce sont aussi l'esprit d'entreprise et la qualité de la formation de sa force de travail qui constituent les éléments incontournables du développement d'une économie durable. J'ajouterai à tout cela la flexibilité, la capacité d'adaptation, d'innovation dans un monde économique en perpétuel changement. Vaste défi culturel.

12. Quelle est vraiment l’utilité d’un tel programme comme Europa Jaratouna? Et, en général, quelle est la meilleure façon pour l’Union européenne de communiquer avec ses partenaires méditerranéens?

Pendant longtemps la Commission Européenne, organe exécutif de l'Union européenne, a oublié de communiquer. Peut-être pour éviter de froisser les Etats souverains en communiquant sur des sujets dont ils voulaient garder la propriété, ou tout simplement parce que ce n'était pas dans ses attributions, la Commission s'est limitée à une communication d'initiés pour des initiés.

Ce sont les parlementaires européens et les acteurs économiques qui l'ont obligée à s'ouvrir peu à peu sur le monde. Nos Délégations ont aussi commencé à jouer un rôle de communication lorsqu'on s'est aperçu que l'Union Européenne avait une présence politique qu'il convenait d'expliquer. C'est aussi une question de respect vis-à-vis de nos concitoyens et de nos partenaires d'honorer leur droit à l'accès à l'information. Lorsque nous parlons de dialogue avec nos partenaires, il s’agit certes du dialogue politique auquel nous sommes engagés mais aussi du dialogue que nous menons entre les diverses cultures.

Pour moi, Europa Jaratouna est un lieu d'échanges entre les pays de la région et l'Europe. Par l'utilisation des outils modernes de communication et de journalistes professionnels, ce programme raconte, informe sur notre partenariat Euromed. Il me permet aujourd'hui de répondre à vos questions. C'est notre blog d'un jour. C’est un programme comme vous le dites, mais ce qui serait intéressant c’est de maintenir cet échange même après la fin de ce programme. Continuez à interroger et provoquer l’Europe!

Je ne connais pas la meilleure façon de communiquer mais je crois qu'il faut respecter quelques règles de base si on veut être convenablement compris: écouter d'abord, utiliser le langage de celui à qui on s'adresse (et je remercie ceux qui me lisent en français car je suis nul en langues, et en arabe en particulier) et le respecter dans ses convictions et sa culture.


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