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Et si Haïti pouvait entrer dans la postmodernité diplomatique…


dimanche 12 février 2012

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Débat

Par Gary Olius *

Soumis à AlterPresse le 11 février 2012

Comme si les relations humaines étaient un archétype des relations internationales, elles utilisent à divers points de vue les mêmes logiques. Le maitre ou la maitresse de maison, pour montrer son amour fou pour sa liberté maintient sa servante ou son gardien dans une vassalité permanente. Et, de la même manière, certaines superpuissances proclament à grand renfort de publicité leur attachement à la liberté, tout en maintenant les pays peu fortunés dans un insupportable carcan politico-diplomatique ou économique. Dans les deux cas, toute forme de revendication ou de remise en question constitue un acte d’insubordination passible de guillotinage.

Les temps ont beaucoup changé et les progrès scientifiques tendent à nous dépouiller de nos réflexes primitifs et nous éloigner de tout ce qui caractérise la jungle, mais les relations internationales refusent de se défaire de la logique axée sur la raison du plus fort. Comme de fait, les plus forts se posent en despotes éclairés pour infantiliser les « faibles » et leur imposer leur propre concept du bien et du mal. Ils se croient même investis de la mission divine de maintenir les autres dans le droit chemin. Un peu comme l’avait prévu Alexis de Tocqueville (depuis, 1840) : « s’élève un pouvoir immense et tutélaire…il ressemblait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche au contraire qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ». Bizarrement, les relations des Etats-Unis avec les autres pays se posent en ces termes-là. C’est d’ailleurs ce paternalisme séculier qui a donné naissance, après l’effondrement du bloc de l’Est, à cette espèce « d’américanolâtrie » diplomatique que tous les petits pays se devaient de cultiver pour leur propre protection. Et au nom d’un sacro-saint conformisme, d’aucuns s’étonnent que l’on puisse remettre en question cette hypothèque forcée sur le libre-arbitre des nations.

Nous autres, haïtiens, nous avons la particularité d’avoir connu les douleurs de la servitude, d’avoir lutté pour la liberté et de l’avoir partagé avec les autres. Notre participation active à la campagne de Géorgie en 1779 et aux révoltes bolivariennes du début du 19e siècle entrait dans cette optique-là. Pourquoi aujourd’hui ne devrions-nous pas avoir le droit à l’autodétermination diplomatique ou à la liberté tout court ?

Ce problème du libre arbitre s’est aussi posé pour d’autres pays en voie de développement et même pour des pays développés comme le Canada. A telle enseigne que l’ambassadeur canadien Pierre Trudeau, par exemple, a dû intervenir pour calmer les esprits dans le traitement international de certains dossiers brulants. En 1969, il a fait une déclaration diplomatique considérant le fait de partager la partie Nord du continent avec les américains comme dormir avec un éléphant. Cette métaphore assez éloquente tendait à insister sur la nécessité que les relations canado-américaines restent pacifiques. Mais, par contre, utilisant une allusion similaire, en 2001, un commentateur américain qui opinait sur les relations des USA avec des pays du Moyen-Orient et de l’Afrique disaient sans plaisanterie : « certains chimpanzés crétins commencent à causer des problèmes en irritant le gorille en le piquant avec des bâtons ». Eléphant pour certain et gorille pour d’autres, comme quoi, tout refus par un petit pays de s’aligner sur la position américaine dans un dossier quelconque équivaudrait à attirer sa fureur et s’exposer à sa puissance de feu.

Dans le cas d’Haïti, n’est-il pas nécessaire que les choses changent ? Vu l’immensité de notre histoire, la posture de béni-oui-oui diplomatique ne nous est pas appropriée. Notre existence de peuple est plutôt bâtie sur l’amour de la liberté, la haine de la servitude et la résistance aux bêtises globales ou planétaires. C’est un des éléments qui doivent conditionner nos prises de position dans les grandes assemblées internationales. D’ailleurs, c’est à l’aune de cette constante historique qu’il fallait mesurer la décision prise en faveur du Venezuela, en octobre 2006, dans la compétition qui l’opposait au Guatemala en vue d’un siège au Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies. Il ne s’agissait pas d’une opposition systématique au grand voisin, mais la réaffirmation d’un grand principe : le vote dans un contexte multilatéral est avant tout une affaire d’intérêt national et se base sur l’égalité entre les nations.

Vu sous cet angle, il est normal que des pays ayant les mêmes intérêts fédèrent leurs forces et se positionnent de la même façon dans le traitement d’un dossier spécifique. Que ceux d’en face voient la chose différemment, c’est de bonne guerre ! Mais le fait d’utiliser sa force pour réprimer un pays pour un refus de s’aligner sur une position considérée idéologiquement comme dominante, cela est plus que condamnable et constitue une atteinte grave au principe de la souveraineté des Etats.

Et, tous les Etats souverains ont droit à un comportement maximisateur. Ils peuvent décider par eux-mêmes avec qui ils jugent bon de s’allier et ceci, tout en assumant les conséquences diplomatiques qui en découlent. Mais ces conséquences-là n’ont absolument rien à voir avec une quelconque représailles politique ou militaire. Un comportement maximisateur peut amener un Etat à jouer à l’équilibriste, en jouant simultanément sur des tableaux considérés – d’un point de vue classique – comme mutuellement exclusifs. Cela a ses avantages et ses inconvénients, mais il suffit d’être bon joueur.

La postmodernité diplomatique c’est d’abord ça : l’art de diversifier ses alliés et de sortir des entiers battus ou des schémas classiques pro-manichéens pour mieux défendre ses intérêts. Ce n’est ni une nouvelle façon de mendier ni une nouvelle variante de la diplomatie du bol bleu. C’est une nécessité d’adaptation aux nouvelles réalités d’un monde qui n’est plus bipolaire, qui n’est plus aux prises à la guerre froide et qui affiche de plus en plus un parti pris pour le multilatéralisme. Ce qui se passe dans le dossier syrien illustre bien cette perception des choses. Les américains ont suffisamment de force pour aller déloger Bachar Al-Asad, mais ils sont obligés de négocier avec tous les membres du Conseil de Sécurité de l’ONU, et surtout avec ceux-là qui ont le droit de véto. Réciproquement, le leader syrien a beaucoup mieux joué que Kadhafi, en s’alliant avec la Russie et la Chine en guise de faire le chiot aux pieds d’Obama ou de Sarkozy.

Par ailleurs, ceux qui pensent que les questions idéologiques et les orientations économiques constituaient le principal substrat de la diplomatie se trompent mal. Si c’était le cas, il n’y aurait pas de relations diplomatiques entre les Etats-Unis, la Chine ou la Russie. Le comportement maximisateur détermine tout et est une des grandes motivations des décisions stratégiques, lesquelles – en temps de crise - donnent naissance à des retombées diplomatiques ou même économiques. Rien ne saurait empêcher que notre pays ait un tel comportement, puisqu’en tant qu’Etat souverain ses intérêts peuvent être très différents de ceux des américains ou des français. Et, il ne saurait demander à ces derniers de défendre ses intérêts à sa place.

Du reste, il faudrait à un moment donné faire la part des choses. Après avoir passé plus d’un siècle à courber l’échine devant les américains et les français, qu’est-ce que cela a donné ? En vérité Dieu, pas grand-chose de positif ! Le paiement d’une lourde dette dont nous portons encore les séquelles, une dépendance économique asphyxiante, trois occupations militaires, la destruction du cheptel porcin qui constituait l’épine dorsale de l’économie de la paysannerie haïtienne, la destruction de notre réseau ferroviaire, le déploiement d’une panoplie d’ONGs pour entretenir la pauvreté et le sous-développement, l’achat à vil prix d’entreprises publiques privatisées dans la douleur, des dons de millions de tonnes métriques de produits alimentaires qui ont littéralement détruit la production nationale et, que sais-je encore, deux parcs industriels : l’un a contribué à transformer Port-au-Prince en un monstre urbain et l’autre au beau milieu de ce qui reste de terre fertile au pays, la plaine de Maribahou. Tandis que, grâce à l’audace diplomatique des prédécesseurs de Martelly, la coopération sud-sud a permis au pays d’avoir, en une période de temps relativement courte, plusieurs centrales thermiques fonctionnant au mazout, un peloton de médecins bien formés, de nouveaux centres de santé, la réparation de l’usine sucrière de Darbonne, la mise en place de lacs collinaires produisant des poissons pour la consommation de milliers d’haïtiens défavorisés, la réhabilitation ou la construction de tronçons de routes importants, la réduction du taux d’analphabétisme, etc. Bref, dans un cas on a eu – en substance - des interventions humanitaires et militaires pendant plus d’un siècle et, dans l’autre, on a conçu et entamé l’exécution d’interventions respectant la dignité du peuple haïtien. Alors, pourquoi ne pas continuer dans la nouvelle voie tracée, tout en réajustant certaines choses ?

* Economiste
golius_3000@hotmail.com

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