Gouleyant, ample, profond : les superlatifs fusent propos de Perces et Chimres (ditions Jet d’encre), le premier roman de la Franco-Gabonaise Charline Effah. Un roman assaisonn d’analepses et d’anaphores mais, surtout, de symtries entre les personnages.
"Nous naissons deux fois : une premire pour exister, une seconde pour exister", crit Jean Jacques Rousseau dans Emile ou de l’ducation. Un avis que partage Mlina Avomo, une tudiante en Droit de 26 ans, dans le Gabon moderne, c’est--dire du coup-dcal et des pistons pour russir ; un pays o Dieu, la tradition et la science voyagent ensemble. Elle dteste sa vie et, dchire entre ses multiples moi, Mlina veut "exister".
Sur les conseils de son amie Diane, elle consulte un marabout, lequel lui prdit un avenir radieux l’tranger. Entre autres, elle pousera un Blanc. C’est alors qu’elle commence se mtamorphoser : "Deux fois par semaine je me peignais les ongles. Me coiffais de longues tresses qui tombaient jusqu’au creux de mes paules." Elle s’claircit la peau, frquente un bar au nom insolite - Suivez-moi les gars - navigue sur internet la recherche de celui que lui a prdit le marabout. Elle jette son dvolu sur Christophe, un Franais. Puis viennent le voyage pour la France et le dsenchantement : rien ne se passe selon les prdictions du marabout.
Ecrit la premire et la troisime personnes, comme pour montrer les multiples moi de la narratrice, Perces et chimres est un fleuve qui noie le lecteur dans les vagues de surprises. Servi par un vocabulaire richissime, le rythme est trs soutenu, telle une symphonie. Les mots sont lchs comme des grenades : "... bien que moi et mes autres moi ayons tendance chipoter au sujet de tout et de rien, je les dompterai pour qu’ils parviennent cohabiter sans chichi."
Mieux encore, Charline Effah est une sommit de la structure ; dans Perces et Chimres les analepses excutent une rumba poustouflante. Une matrise parfaite de l’architecture. Certes, on peut dplorer quelques longueurs ici ou l, mais les mots sont bien pess et agencs. De belles transitions.
Charline Effah aborde plusieurs thmatiques la fois dont la dlicate question du bonheur.
"C’est quoi, le bonheur ?"
Dans ce roman, chaque personnage est plus ou moins concern par le sujet. Et Charline Effah ne succombe pas l’appel langoureux de l’Essai. Non, elle ne donne pas une dfinition rige en vrit, et pour cause, le mot n’est pas l’objet d’un consensus. Si pour la narratrice, le bonheur est "un entracte fugace et pars consommer avec modration", pour les autres ce peut tre la bonne sant, le mariage...
Oui, Perces et chimres est du mme "tonneau" que Le ventre de l’atlantique de Fatou Diome et, des livres de ce genre, on en redemande. Charline Effah s’est lance dans l’inconnu et a dcouvert un immense territoire : c’est a aussi son bonheur.
La littrature, c’est son "moyen de prendre position sur les thmatiques de la vie" dit-elle sans se dpartir de son magnifique sourire. En vrit, un nouvel crivain est n au Gabon, et il faudra compter avec elle dans les annes venir. A peine 33 ans, Charline Effah s’impose comme une romancire accomplie. Voil !
Bedel Baouna
Perces et chimres - Charline Effah - Editions Jet d’encre - 18 €
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