Les Nouvelles Chroniques de Ndoumbelane

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Mots de Jubilation

Par Doomu Rewmi le jeudi 23 août 2007, 02:00 - Chroniques d'une société dérèglée - Lien permanent

  • Banlieue
  • Musique
  • SLAM

Tentant de me défendre de la réputation de spleener invétéré que me donnent mes envolées lyriques où la mélancolie se fait passer pour de la profondeur, j'avais promis, en réponse à un commentaire sur mes mots de lamentation, des mots de jubilation.

Je me voyais déjà tentant d'extraire des recoins sombre de mon humeur triste une lueur de joie à partager et l'exercice me déprimait d'avance. Eh bien cela n'aura pas été difficile. Des mots jubilatoires j'en ai eu plein le Dimanche 12, au Just 4 U, lors de la soirée SLAM que nous ont offerte avec beaucoup de talent la petite bande du Victorian Bantu.

« C'est quoi le Juste Quatre U» ? se demandera le francophone pas assez au fait des loisirs dakarois. Le «Djeuste Fore You», O lecteur lointain, c'est un petit bar-resto-cabaret en plein air en face de l'université où l'amateur de musique folk sénégalaise (les mélodies Cheikh LO, les mots de Souleymane Faye, la voix de Daby), celui de Jazz (Vieux Mac Faye, Baba Band), celui de rap sénégalais (Dara J?) ou juste le rare grégaire Dakarois incapable de dîner seul à la maison [1] se rencontrent en plein air pour une bouffe insipide, un choix limité de boissons et une bonne diversité en musique live souvent excellente.

Dimanche donc ... Pardon ? Le slam ? Vous ne connaissez pas le slam ? Ah on me lit donc dans ces contrées reculées ? Ebinmonwié! Le slam, ma petite dame, ce sont des textes qui se déclament, sans tout le tintammare et le ramdam, une nouvelle poésie populaire qu'on acclame, de Dakar a NY en passant par Paname.

Dimanche donc à minuit, au Just 4 U et j'y renifle l'air de l'hivernage tentant de savourer cette odeur de terre mouillée annonciatrice de la pluie qui risque de sonner le glas de cette soirée SLAM que j'attends depuis deux bonnes heures.

"À la fin la pluie vint. Elle fut soudaine et formidable" comme l’écrivait Chinuwa Achebe. Mais heuresement il y a eu d'abord la pluie de mots, tout aussi formidable, durant toute la prestation de Papelas, Fari et de leur invités.

Oui, les mots ont volé et très haut tandis que nos slameurs du Lundi (... oui, il était minuit passé et ce ne sont vraiment pas des poètes du dimanche. Et puis Lundi, cela sonne plus pro, madame, ce qu'ils etaitent. Arretez donc de m'interrompre! ou en etais-je ? Ah .. tandis que nos slameurs disais-je ....) se sont succédés dans un enchaînement très riche de textes.

J'ai admiré les beaux jeux de mots de Papelas, qui parlait à nos consciences avec un humour subtil. J'ai applaudi les délires de Fari qui a peint en mots Wolof et français toujours bien agencés la scène de drague la plus sénégalaise qui soit. Leurs textes acappela se sont enchaînés comme sur du papier à musique et nous ont beaucoup enchantés, souvent fait rire et par moment très émus.

Puis il ont ouvert le micro à quelques invités (dont Awadi, Fou Malade et Xuman, le plus grand rappeur sénégalais, qui fait pas loin de 2 metres). C'est là que j'ai eu ma plus belle surprise avec Matador (du groupe de rap BMG 44). Ce petit gars à l’allure ramassée de félin aux aguets nous a offert une prestation fascinante, tant elle était expressive, et troublante, tant elle exprimait le quotidien de détresse et de rejet social d'une vie d'un jeune dans la banlieue dakaroise.

Plus tard j'apprendrais que Papelas qui est allé le rencontrer au fond de sa banlieue l'a trouvé entrain d'animer un atelier d'écriture et de slam avec les jeunes du quartier. Ce qu'ils produisaient nous a tous soufflés.

Je suis reparti avec un constat terrible teinté d'un espoir insensé. En effet, Pikine-Thiaroye-Guidewaye, cette grande banlieue de Dakar, c'est là-bas que se déroule l'explosion de la démographie dakaroise avec ses caractéristiques inquiétantes: 52 % de moins de 18 ans et 68 % sous le seuil de pauvrèté. Là-bas, loin de nos yeux de bourgeois du centre vile qui s'ignorent minoritaires, mijote une soupe sociale dont l'explosion certaine pourra prendre n'importe quelle forme. Bonne ou mauvaise, je peux vous prédire qu'elle sera créative. Cette banlieue produit déjà les meilleurs résultats du concours général (la sélection doit être si serrée, ceux qui arrivent au bac au Lycée Limoulaye doivent être de sacrés monstres).

Elle peut produire aussi le pire. Mais pour une fois, vu ce que j'ai découvert sur scène, je parie sur le meilleur.

Notes

[1] les sénégalais ne dinent pas dehors! Mais c'est tout une histoire ça. Un autre post sûrement

Commentaires

1. Le jeudi 23 août 2007, 17:53 par natty

hahaha là tu m'as bien eu ! je m'attendais à tout sauf un post sur le SLAM (yeeeeeesss!!!) et encore une fois tu racontes les choses telles que j'aurais aimé pouvoir faire (tu permets que je transmette ton billet à ceux qui me demandent comment était la soirée slam ? )

MAis (oui un phrase ne commence jamais par "mais", mais moi je me "perds mais" ) MAis disais je donc, ne jubile pas trés vite. ton pari de faire un post joyeux, tu l'as presque réussi. Cependant le vrai DR, celui là meme qui trouve toujours le moyen d'être melancolique et qui a l'art de nous faire déprimer apres chaque post, le vrai DR t'a rattrappé à la fin.
Bien sur t'as essayé de cacher tout ça par un " je parie sur le meilleur." une belle conclusion remplie d'espoir .... mais "un espoir insencé" n'est ce pas ? parce que cette banlieu OUBLIEE, ou la misère et la pauvreté font faire à ces pauvre jeunes toute sorte de "betises" (pour parler gentiment) pour sortir la tête de l'eau ...cette banlieu arrive en force et "elle peut produire le pire"....
Non j'arrete ! Tu sais bien que j'aime l'espoir et surtout j Y CROIS ! Moi aussi je parie pour le meilleur !
mention special à matador qui fait un travail enorme avec ses "gosses" (je t'invité à venir assister avec moi au prochain atelier d'ecriture enxt week :) )
merci pour ton beau billet...et vive le Slam !!!

ps: voici l'adresse des victorian bantu victorian-bantu.skyrock.com/

2. Le vendredi 24 août 2007, 13:59 par Hady Ba

Hello DR,

Merci pour ce compte rendu. Awadi et Xuman sur la même scène, ça devait être quelque chose. De quoi me faire regretter de ne pas être à Dakar en tout cas!

Finalement, ce n'est pas très étonnant que les Pikinois soient si créatifs. Comme toujours, l'art sert avant tout ceux qui ont un besoin vital de se faire entendre et pas d'accès aux canaux officiels pour le faire. Que ce soit dans le Bronx, les banlieues françaises ou à Pikine, le Slam permet de s'exprimer sans autre investissement qu'un stylo et un cahier. C'est encore mieux que le rap.

PS: Je vois d'ici les tenants des cultures officielles parler de sous culture!

3. Le vendredi 24 août 2007, 22:21 par Doomu Rewmi

@natty

Voila ce que c'est que d'avoir une réputation. On y echappe pas. Chassez le naturel il revient au galop dit le proverbe. Ce n'est pas le naturel qui revient, c'est les gens qui vous y renvoient.


@Hady
tu as bien raison sur la creativité des pikinois. C'est celle de tous les groupes qui se retrouvent emprisonnés dans une guangue sociale. Ils cherchent des solutions pour se faire entendre, pour exister. Ils s'approprient les nouveaux espaces d'expression. Après tout les nantis eux n'ont aucune raison d'innover, tout va bien pour eux. Mais ce qui m'interesse dans le cas  de la banlieue Dakarois, c'est l'impression que j'ai qu'elle est tellement majoritaire que c'est elle le veritable Dakar. Que les autres sont la sous culture minoritaire. La encore ce doit etre vrai partout puisque toujours les privilégiés sont par nature une minorité. La question que je me pose du coup c'est laquelle des ces deux categories entre dans l'histoire comme identité du peuple ? L'art de la rome antique que nous connaissons etait il celui des nantis de la cité ou celui des esclaves ? je crois que l'art de la renaissance europenne au 19e a paris etait essentiellement d'origine modeste. Aujourd'hui pourtant, celui qui est reconnu par la société mondialisé, c'est un art réalisé par des gens d'origine aisé, non ? Remarque je ne suis pas de ce que je dis la. A repenser.

4. Le samedi 25 août 2007, 06:05 par Malaïka

Bonjour Doomu,
Natty m'a recommandé ce post pour avoir un compte rendu de la soirée slam qu'elle annonçait sur son blog. Je dirais bien que c'est comme si j'y étais mais ce serait mensonge car dans mon inculture je ne connais pas du tout les artistes cités (pause sanglots imaginaires). Je suis en revanche touchée par la vitalité qui semble se dégager de la jeunesse du Sénégal et j'espèreq ue l'explosion sociale pressentie le sera pour le meilleur.
Bonne journée et à bientôt

5. Le dimanche 26 août 2007, 14:30 par Nayabingui

Salam tout le monde.
@DR
Cette réputation que veut te coller natty s’explique pourtant facilement par cette citation de l’un de tes écrivains préféré, Daniel Pennac, qui disait : Je ne comprends pas qu’un être normalement doué de sensibilité ne pleure pas pendant les informations.
Sensible et lucide donc à tel point que même la tentative d'extraire des recoins de ton humeur une lueur de joie à partager et l’effort que cela demande te déprime ? LOL

Pour en revenir au slam. C’est beau de voir, les rappeurs et les slameur partager l’amour des mots.
Quand je pense qu’ailleurs ils sont plus occupés à se poser des questions existentielles sur la crédibilité de l’un et de l’autre. En France par exemple les rappeurs qui ont tendance à voir dans le slam une grande concurrence, le considère comme e un pur produit marketing positionné par un loby anti rap underground et la façon dont il est leaderchipées par les jeunes de cité et les noirs. Oui, tout comme DR et la mélancolie, il y en a qui sont toujours très théorie du complot.

Tien parlant de complot, je vous fais remarquer que la jubilation de DR consiste à réussir à nous refourgué son virus, par petite dose. Alors arrêter de lui demander d’être plus joyeux.

6. Le lundi 27 août 2007, 13:10 par Hady Ba

Pour être rigoureux, il faudrait une vraie étude sociologique mais il me semble que le processus est souvent le même: l'art nait d'abord underground et subversif dans les couches populaires puis est récupéré par le marché
et les institutions lors même que ses créateurs sont passés à autre chose ou se sont embourgeoisés. Du coup, l'establishment a toujours tendance à fêter ses propres rejetons qui essaient de reproduire ce qui était neuf des années avant! (OK je suis méchant)

@Nayabingi: Je n'ai pas l'impression que les slammeurs français actuels soient spécialement plus aisés que les rappeurs. Ils viennent des mêmes cités si je ne me trompe. OK, Grand Corps Malade est blanc (ce qui donne sans doute l'impulsion aux théories du complot) mais il est de Saint Denis!

7. Le lundi 27 août 2007, 17:49 par Doomu Rewmi

Salam.

En fait je crois que cette histoire de rappeur et slammeur que Nayabingi raconte illustre parfaitement ce que hady dit plus haut. Les rap c'est un art qui, en grande majorité, fait desormais partie de l'etablishement. Le slam c'est le nouveau bebe qui fait un peu subservif devant l'etablishement rap ( il n'en respecte pas les codes). Normal que cet etablishement trouve des reproches a lui faire.

Le reproche facile du rappeur, "Sa race! il est tout blanc et il ne fait pas underground", est du coup ironique. Celui qui le dit c'est celui qui s'est embourgeoisé.

Hé Hé. Je m'en vais crier vive le slam et vive la revolution.

8. Le samedi 15 septembre 2007, 16:40 par natty

rap vs slam.... yep faut q'y attendre. tu sais nyabinghi (yeees naya !!!) un des rappeurs m'a dit ce soir là " le slam ca arrange pleins de gens finallement. un mec qui essaye depuis des années et qui arrive pas à perser dans le rap now te dira oooh moi je suis pas rappeur je fais du slam. c'est trop facile " Je dois avouer qu'il a pas tord. le slam ne demande rien d'autre que de bon texte alors que coté rap il faut en plus le bon beat et le bon slow.. je comprend que les rappeurs soient un peu frustrés par le big succés du slam... mais c'est plus un phenomene de mode en ce moment je crois que ca va se calmer...sauf qu'a Dakar ça ne fait que commencer et faut le dire ça commence trés bien. Ici pour le moment on dissocie pas vraiment rap du slam. La preuve les prochaisn albums slams (les premiers) annoncés, seront fait par des rappeurs (matador de bmg 44 et docta. celui de matado ne le ratez pas ca va faire mal )
Malaika; ma malaika c'est un sacrilège que de ne pas connaitre xuman et Awadi ma soeur !!! Il faut qu'on y remedie vite fait !!!! (pauvre toi t'es mal barrée hihi )

9. Le mercredi 26 septembre 2007, 16:18 par natty

je voulais dire " le bon beat et le bon FLOW" bien sur au lieu de Slow

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