La finalisation du rapport de la Commission juridique et du march intrieur du Parlement europen charge de l’examen du projet de directive visant instaurer la brevetabilit des logiciels est repousse au 18 juin. En prlude au vote de la directive au Parlement, c’est une dernire bataille que se livrent les dfenseurs du logiciel libre, le groupe des Verts et le rapporteur de la Commission, Arlne McCarthy (Labour).
Cela n’a jamais t le grand amour entre Arlene McCarthy et les adversaires de la directive, qui vise instituer un brevet sur les logiciels en Europe. Ce texte aurait pour effet de remplacer le systme actuel de proprit intellectuelle par un systme de brevet inspir du modle en vigueur aux Etats-Unis.
Une femme sous influence ?
En dclarant qu’elle rejetterait tout amendement excluant en soi la brevetabilit des programmes d’ordinateur, la membre du parti du Labour a d’entre t suspecte d’tre un agent de l’Office europen des brevets, o l’influence anglaise est prdominante. Cette orientation a t confirme de fait : quand la commission de la Culture prside par Michel Rocard, acquis la cause du logiciel libre, a t consulte et prsent des amendements visant empcher la brevetabilit, ils ont t quasi-ignors.
Les dfenseurs du logiciel libre dnoncent depuis longtemps l’influence de l’OEB sur la directive : l’un de ses rdacteurs est un ancien membre de cet Office et l’autre est issu de l’UKPTO, l’office des brevets anglais.
Si les adversaires de la directive veulent montrer l’emprise de l’Office europen des brevets sur la naissance et le processus d’adoption de ce texte, c’est que cette institution est, depuis une dizaine d’annes, le fer de lance de l’extension du domaine de la brevetabilit en Europe.
L’OEB a plusieurs fois "devanc" la loi, en accordant des brevets lis deux domaines explictement exclus de la brevetabilit par la Convention de Munich sur la proprit intellectuelle : le logiciel et le vivant.
Dans le domaine du logiciel, l’OEB aurait dj accord plus de 30 000 brevets, en les prsentant comme des "procds techniques".
Galanteries...
La dernire escarmouche entre Arlene MacCarthy et les opposants la directive remonte la confrence sur le logiciel libre organise les 7 et 8 mai Bruxelles par les Verts europens et la FFII (Foundation for a Free Information Infrastructure).
Madame Le Rapporteur s’est plainte publiquement de ne pas avoir t invite et a accus ses promoteurs de "ne pas vouloir tenir un dbat ouvert". Les organisateurs, s’ils ont reconnu avoir prvenu McCarthy seulement l’avant-veille, affirment avoir t corrects. Cet incident diplomatique a donn lieu sur le rseau de nombreux changes polmiques exemplaires des luttes entre lobbies Bruxelles.
Depuis lors, Arlene McCarthy oeuvre toujours pour imposer la brevetabilit du logiciel mais a rcemment rencontr un contretemps : faute d’avoir pu trouver un accord en son sein, la Commisssion juridique a du dcider le 21 mai d’ajourner au 18 juin la prsentation de son rapport devant le Parlement europen. Encore cette nouvelle date pour l’audition du rapport est-elle prcde, dans l’ordre du jour, de la mention "ventuellement".
Quand le rapport de la Commission aura enfin t prsent au Parlement, il restera l’ultime tape du vote du texte en sance plnire. Ce vote ne pourra intervenir que lors des dernires sances Stasbourg, fin juin ou dbut juillet. Il sera alors encore possible de dposer des amendements au nom d’un groupe.
D’ici l, il reste peu de chances pour les opposants la brevetabilit du logiciel de gagner Arlene McCarthy leur cause. Sa position ne semble pas avoir chang depuis que sa propositionn de rapport a t rendue publique, le 13 fvrier dernier. La rapporteuse recommande vivement l’adoption de la directive et met en garde contre toute limite au principe de brevetabilit.
... et perversit
"Avec une perversit certaine, Mme McCarthy sous-entend auprs des dputs qu’il s’agit de leur dernire chance d’avoir la main sur le dossier, autrement dit : ’Votez le texte et lgalisez la situation ou l’Office europen des brevets continuera dire le droit votre place’", rsume ironiquement un acteur proche du dossier, qui oeuvre pour le camp du libre Bruxelles. "C’est un peu comme si les statistiques de la dlinquance dictaient le droit pnal. Trop d’infractions ? On lgalise..."
Pour notre interlocuteur, qui souhaite rester anonyme, la prochaine tape, pour le camp du libre, est de tenter de convaincre les reprsentants au Parlement europen des pays dont le secteur logiciel est naissant : "Ils n’ont aucun intrt ce que le software europen soit verrouill par les brevets sous peine de voir leur industrie nationale touffe dans l’oeuf." La Grce, par exemple, ne dteindrait qu’une vingtaine des 30 000 brevets logiciels dj dlivrs illgalement par l’OEB.
"S’il devient possible de les faire valoir en justice dans l’espace europen, il est certain que le secteur informatique et logiciel grec aura beaucoup de mal dcoller parce que le ticket d’entre payer sera trs lev", ajoute l’opposant la directive.
Amrique et dpendance
Le grand gagnant de l’extension de la brevetabilit au logiciel en Europe serait en fait les Etats-Unis. Les dfenseurs du libre rappellent que les trois quarts des brevets logiciels europens sont dtenus par des entreprises amricaines.
"Le brevet c’est la mise en coupe rgle du secteur logiciel europen, c’est le cheval de Troie US, que ce soit au niveau conomique ou de notre scurit informatique", clame notre interlocuteur. Les associations pro-libres comptent mobiliser les eurodputs autour du concept "d’indpendance informatique" (Lire l’interview de Gal Duval : "Il manque une logique globale pour soutenir l’industrie informatique").
"La Communaut europenne s’est btie sur l’ide de notre auto-suffisance nergtique d’abord, avec la CECA, puis alimentaire ensuite avec la PAC. Ici, il s’agit de notre auto-suffisance informationnelle, une des resssources vitales de ce sicle, comme le charbon pouvait l’tre au sicle pass", explique l’acteur proche du dossier. "Le dbat n’a rien d’un dbat gauche-droite : comme le systme Galileo, le systme concurrent du GPS amricain, ou le lanceur spatial europen, la question logicielle concerne trs court terme nos relations stratgiques avec les autres puissances."
On le voit, les partisans du libre se mobilisent pour la dernire ligne droite d’une course d’obstacles qui dure depuis 1999, date de l’ouverture par la Commission des consultations publiques. Avec quelles chances de succs ? Pour l’instant, les adversaires de la directive ne peuvent compter que sur le soutien des groupes Verts et socialiste et de quelques non-inscrits. Si, dans le mois qui leur reste, ils parvenaient entrainer quelques dputs conservateurs pour faire de la question un dbat transcourants, ils pourraient esprer gner Arlene McCarthy. Cette dernire saura-t-elle se montrer plus persuasive dans l’hmicyle qu’ la Commission ?