transfert.net./ "Il manque une logique globale pour soutenir l'industrie informatique" [Gal Duval]

A l’occasion de la rcente sortie de la version 9.1 de Mandrake Linux, Transfert interroge Gal Duval, le crateur de cette distribution franaise du systme d’exploitation libre. Lance en 1998, elle est devenue une des trois plus rpandues au monde. Bien que dans le trio de tte, avec l’amricain Red Hat et Suse, MandrakeSoft, qui s’est dclare en cessation de paiement en janvier dernier, reste encore fragile. Elle pourrait tre rachete.

Gal Duval, 30 ans, a cr Mandrake, une des versions les plus distribues de Linux..

Pre de Mandrake Linux et cofondateur de MandrakeSoft, Gal Duval, jeune trentenaire pionnier de Linux en France, expose ses vues sur les perspectives conomiques de sa socit de 50 employs et sur l’avenir du secteur.

Distribue en ligne gratuitement ou par correspondance partir de 35 euros, Mandrake Linux passe pour tre le systme d’exploitation libre le plus simple installer. A l’instar des principales autres distributions GNU/Linux, il comprend des logiciels bureautiques et internet mme de satisfaire les utilisateurs habitus aux solutions Mac et Windows.

Qu’apporte la dernire version de Mandrake Linux en plus, pour le grand public ?
Principalement une amlioration pousse au niveau de l’ergonomie : Un gros travail a t ralis pour rendre plus simple la procdure d’installation. L’apparence visuelle du bureau de travail a galement t retravaille et apporte maintenant un grand confort d’utilisation, avec les polices de caractres lisses dans la plupart des applications.

Par ailleurs, nous proposons dornavant un service en ligne tendu, qui centralise des dizaines de milliers d’applications Linux. Il permet de rechercher et d’installer les logiciels en un seul clic, dans le cadre de notre offre "Mandrake Club", qui comporte en outre un grand nombre d’avantages trs apprcis par ses utilisateurs.

Prvoyez-vous de lancer une campagne incitant les gens migrer sous Mandrake Linux ?
Nous travaillons effectivement sur ce sujet et avons dj un site contenant un certain nombre de tmoignages de migration de Windows Linux en entreprise. Par ailleurs, nous comptons normment sur la communication "virale" et le bouche oreille, en particulier de la part de nos utilisateurs : nous n’avons pas les moyens de nous lancer dans une communication de masse pour l’instant.

Mais il est clair que notre OS est maintenant une vritable alternative libre (et gratuite la base), en ce qui concerne le travail bureautique : nous proposons maintenant par dfaut la suite bureautique OpenOffice qui est impressionnante par sa capacit ouvrir des documents et les enregistrer dans les formats de fichier Word, Excel, PowerPoint, etc.

La chane de supermarch amricaine Wal-Mart a commenc l’an pass distribuer des PC avec la Mandrake pr-installe. Avez-vous d’autres projets de ce type ?
Ces PC sont toujours disponibles, avec un modle d’entre de gamme moins de 300 euros ! Mais ils ne sont pour l’instant distribus que par le site Walmart.com. Nous avons galement un accord avec HP/Compaq qui pr-installe nos produits sur plusieurs de ses modles. D’autres accords de ce type sont en prparation.

Il reste nanmoins une rsistance forte ce genre de projets, du fait de la pression importante qu’une socit ditrice d’un systme d’exploitation trs connu exerce sur les assembleurs de PC, en les menaant de ne plus travailler avec eux chaque fois qu’un tel projet se met en place. Ceci est particulirement vrai en France.

Il m’est difficile d’en dire davantage, il n’y a jamais de traces crites et les constructeurs concerns ne souhaitent pas qu’on les cite pour des raisons faciles comprendre.

Nombre de partenariats ont t passs entre Microsoft et l’Education Nationale, entre autres ministres. Comment se fait-il que Mandrake ne soit pas plus implant dans les ordinateurs des coles, des universits et de l’administration en gnral ?
Nous envisageons toutes les opportunits qui se prsentent, mais cela reste encore un vritable "challenge" cause des raisons voques prcdemment.

En gnral, les contacts que nous avons eus avec les administrations sont positifs mais il y a peu de concret au bout du compte. On s’aperoit bien qu’il n’y a pas de logique globale pour notre industrie informatique, comme si cela tait secondaire.

Ce problme est aussi une question de force de frappe : Microsoft a des moyens trs importants et le bras trs long. N’oublions pas que beaucoup de dcideurs informatiques sont fascins par les produits Microsoft et en pensent rellement du bien !

Nos produits sont tout de mme dj utiliss par un certain nombre d’administrations et collectivits locales : le ministre de la Culture pour des muses, le ministre de la Dfense pour une base arienne, certains Conseils gnraux ou rgionaux, des mairies... Mais les contrats sont ponctuels, ngocis au coup par coup.

Ceci dit, le milieu de l’enseignement et de la recherche est souvent trs attir par les offres ouvertes car, au-del d’une technologie qui fonctionne mieux, les cts "projet coopratif" et "intelligence collective" qui sont indissociables du logiciel libre sont des modles pour beaucoup.

Nous sommes donc assez optimistes sur la possibilit de pouvoir sduire en profondeur ces milieux.

En crant il y a un an le MandrakeClub, qui permet par exemple ses adhrents de bnficier de tarifs rduits sur certains logiciels, vous testiez un nouveau modle conomique : o en tes-vous aujourd’hui ?
Avec la gnralisation des accs Internet rapides, le modle conomique qui passe par la vente de botes est littralement en train de s’crouler pour Linux, qui peut tre tlcharg gratuitement : par exemple, aux Etats-Unis, le volume de packs Linux vendus a t divis par 10 en trois ans, toutes distributions confondues.

Il devenait donc urgent de penser l’avenir. Pour nous, le Club Mandrake, qui a au dpart t cr pour permettre nos utilisateurs de soutenir leur distribution prfre, est rapidement devenu un outil extraordinaire qui permet aux utilisateurs qui ne souhaitent pas acheter les versions packages d’avoir accs de multiples avantages qui ont t ajouts au fur et mesure.

Outre des rductions sur tous les produits achets sur notre boutique en ligne, le Club offre un accs sans prcdent un nombre trs important de logiciels qui tournent sur notre OS. Et, pour la premire fois avec la version 9.1 de Mandrake, le systme d’exploitation et le Club ont t "interfacs" pour que cette logithque immense devienne accessible directement , via les outils de configuration qui permettent d’ajouter des logiciels sur l’ordinateur.

Le Club permet galement ses membres, 15 000 ce jour, de proposer et de voter pour ajouter des applications dans la prochaine version. Notre souhait est vritablement que Mandrake rponde le mieux possible aux besoins de ses utilisateurs.

Le 13 janvier dernier, Mandrakesoft se dclarait en cessation de paiement. O en tes-vous aujourd’hui ?
Nous avons comme objectif de sortir de la priode d’observation du tribunal de commerce par un plan de continuation de l’activit. C’est pour cela que nous dployons une nergie importante pour finir notre restructuration (nos effectifs ont t diviss par trois en deux ans, nous sommes maintenant une cinquantaine de personnes plein temps), c’est--dire continuer rduire nos cots de fonctionnement tout en dveloppant au maximum les affaires. Si nous chouons, la socit sera vraisemblablement cde une socit tierce, au dsavantage de tous les actionnaires.

Ce qui nous pend au nez, c’est une prise de contrle (ou mme une simple participation) de la part de financiers ayant des objectifs de plus-value court ou moyen terme sans aucun projet industriel ou de socit derrire.

Dans notre cas, on pourrait s’attendre un changement important dans l’esprit d’ouverture de Mandrake Linux et de sa qualit, voire mme peut-tre une spcialisation du produit sur certains marchs verticaux, en fonction de la mode du moment.

Cela serait videmment totalement en contradiction avec notre projet qui a toujours t de fournir un systme Linux ouvert, simple d’utilisation et adapt aux besoins de tous, aussi bien les particuliers que les entreprises. Evidemment, dans ce cas il est parier que la communaut Linux reprendrait le projet entier sous un autre nom.

Nous avons d’ores-et-dj eu un certain nombre de propositions de reprise mais nous n’en sommes pas l. Nous faisons tout pour que cela n’arrive pas, car ce serait un gchis norme.

Pour l’instant, nous sommes assez optimistes car la Mandrake 9.1 a rencontr un succs important et nous avons effectu de bonnes ventes par l’intermdiaire de notre boutique en ligne, mme si l’quilibre reste nanmoins fragile. Tout dpend du plan qui va tre mis en place, de l’volution de notre chiffre d’affaires, de la dcision du tribunal de commerce, etc.

Temps-reels.net, le site de la section internet du Parti Socialiste, dplorait rcemment le fait que l’Etat, qui a perdu des dizaines de milliards d’euros dans certaines grosses entreprises technologiques comme Bull, Gemplus ou France Tlcom, ne levait pas le petit doigt pour sauver MandrakeSoft, une autre socit franaise la pointe de son secteur d’activit. Avez-vous pens solliciter l’Etat ?
Oui, de nombreux contacts ont t tablis depuis plusieurs annes, malheureusement sans retombes vraiment positives pour l’instant. Il semble que nous soyons extrmement apprcis, mais d’un autre ct il manque une logique globale pour soutenir l’industrie informatique en France et en Europe.

Il est assez pnible de constater quel point cette industrie est totalement domine par nos amis Amricains, sans que ceci ne semble gner grand monde, malgr la formidable opportunit qu’offrent aujourd’hui les logiciels libres en terme de rattrapage de retard technologique.

Il faut absolument que les pouvoirs publics ralisent quel point il est urgent de dvelopper une vritable politique nationale et europenne pour rattraper notre retard dans les domaines des technologies de l’information, et de favoriser les projets porteurs d’un avenir industriel et d’indpendance, face la puissance amricaine en particulier.

Par exemple, que penser de nos administrations et de notre dfense, qui utilisent en partie des logiciels propritaires dont le code source n’est videmment pas accessible, et dont on ne sait pas ce qu’ils font exactement ?

Bien entendu, notre idal ne serait en aucun cas de devenir une entreprise subventionne par l’Etat Franais, ce qui serait assez lamentable. Mais si une prise de conscience naissait autour de la ncessit en France et en Europe de dvelopper les hautes technologies, cela ne pourrait avoir que des consquences positives pour les entreprises franaises et sur notre conomie, moyen terme.

Ceci est particulirement vrai en informatique. Par exemple, pousser les secteurs publics et privs investir davantage dans la recherche et la technologie aiderait sortir de notre dpendance, technologique, conomique, voire stratgique vis--vis des mammouths du secteur, en grande majorit amricains.

Ceci dit, nous bnficions de certaines subventions comme pour le projet Clic qui est un projet de "clustering" (du calcul fait par des grappes d’ordinateurs en srie, NDLR) avec d’autres partenaires. Donc, indirectement, nous bnficions tout de mme de l’aide de l’Etat pour une petite partie de notre R&D dans le cadre du Rseau national de technologies logicielles, mis en place en 1999 par les ministres de l’Industrie et de la Recherche.

Il n’y a pas de complexes avoir dans ce domaine : Linux est parti d’Europe et les Amricains s’en sont empars trs vite, comme le "world wide web" d’ailleurs. Nous possdons une culture trs pousse du formalisme, au moins en France, qui aurait en thorie d installer nos pays en tte des plus dvelopps dans ce secteur, et le potentiel reste formidable.

Et ce qui a pu se faire dans le domaine de l’aronautique, avec Airbus qui s’est hiss la hauteur de Boeing en l’espace de 25 ans est sans doute possible pour l’informatique galement. La question est : quand va t-on enfin prendre conscience de ces problmes ?