17/07/2011 à 11h23

Jean-Pierre Pernaut, vingt-trois ans d'une certaine idée de l'info

Bastien Hugues et Raphaël Godet | journalistes

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  • Chaque midi, 7 millions de Français regardent son « bien joli » JT de 13h et ses reportages apaisants sur une France de carte postale.


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    Jean-Pierre Pernaut

    Dans le paysage audiovisuel français, Jean-Pierre Pernaut fait figure d’ovni cathodique. A 61 ans, voilà qu’il boucle sa 23e saison consécutive aux commandes du 13 heures de TF1. Face à lui, pas moins de quinze présentateurs ont défilé sur France 2.

    Tous les midis, un télespectateur sur deux regarde Pernaut, soit sept millions de Français : une performance que « JPP », comme l’appellent ses collègues, est le seul à réussir en Europe.

    Le 13 heures de TF1 n’est pas seulement le plus regardé en France. Comme le soulignent les sociologues Pierre Leroux et Philippe Teillet, il est aussi le plus critiqué.

    Dès 1994, Libération déplore une « overdose de Pernaut ». Quatre ans plus tard, Télérama dresse un portrait au vitriol de « l’idole du village ». Plus grinçant encore, Le Monde propose en 1999 de se désinfecter après le journal.

    Pour Roberts et Garrigos, l’info a été « contaminée » par le 13 heures de TF1 

    Dans « La Bonne Soupe », ouvrage publié en 2006, les journalistes de Libé Isabelle Roberts et Raphaël Garrigos signent une enquête à charge sur « la contamination de l’info par le 13 heures de TF1 » : plus de 250 pages consacrées « au grand n’importe quoi de Jean-Pierre Pernaut ».

    JPP, lui, n’a de cesse de crier à la « manipulation » et à la « caricature ». Jamais ces critiques n’ont d’ailleurs entamé sa propre popularité ni celle de son JT.

    Son succès, c’est peut-être Michel Houellebecq qui en parle le mieux. Dans « La Carte et le territoire », le romancier salue la capacité de Jean-Pierre Pernaut à « accomplir chaque jour cette tâche messianique consistant à guider le téléspectateur, terrorisé et stressé, vers les régions idylliques d’une campagne préservée ».

    Nous y voilà donc : la France du bonheur. Regarder et décrypter le 13 heures de Jean-Pierre Pernaut pendant un mois permet de mieux appréhender cette réalité.

    1

    « On a d’irrésistibles envies de se baigner... »

    Pour rendre son journal télévisé « agréable », Jean-Pierre Pernaut a plusieurs recettes. La première : donner la priorité à l’information « heureuse ». Le 23 mai, il fait beau en France. Après le traditionnel « coup d’œil aux prévisions d’Evelyne Dhéliat », direction le bassin d’Arcachon d’abord, puis cap sur un camping de Sérignan-Plage.

    Cinq minutes d’images réjouissantes de soleil, de terrasses et de sable fin pour ouvrir le journal télévisé. Le lendemain ? Ciel bleu en France. Pour ouvrir le JT, direction le marché et la plage du Grau-du-Roi.

    Le 25 mai ? Ciel radieux. « Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais on a d’irrésistibles envies de se baigner », lance Pernaut, mine réjouie, pour ouvrir le premier sujet de son JT : « un paysage de carte postale » à Nice, suivi d’un reportage dans les rues d’Avignon. Sur dix-neuf éditions passées au crible, pas moins de 40% ouvrent sur un ou deux « sujets météo ».

    « La critique méchante de dire “Pernaut commence son journal par le sabotier de je-ne-sais-où”, elle vient de quelqu’un qui n’a jamais regardé le journal de 13 heures », maugrée JPP. Il a raison : son JT commence par un rayon de soleil.

    2

    « Direction le magnifique golfe du Morbihan »

    L’autre secret de Jean-Pierre Pernaut pour rendre son JT plaisant, c’est d’avoir su construire un réseau de dix-neuf bureaux en régions pour dénicher « les plus beaux coins » et « les événements les plus sympathiques » de notre pays, une fois l’information « obligatoire » traitée.

    Aux environs de 13h15 ou 13h20 donc, cap sur « un spectacle de cabaret amateur digne des plus grandes revues » à Sainte-Marie-de-Gosse, sur « une fête de la transhumance » dans l’Aubrac, sur « quelques-uns des plus beaux pigeonniers » de Midi-Pyrénées, cap aussi sur « les voiliers du magnifique golfe du Morbihan », sur « un sympathique parc d’attractions » à Milizac...

    3

    « Superbe », « formidable », « sympathique »...

    Depuis son arrivée en 1988, Pernaut a toujours refusé de lire un prompteur, comme le font tous ses semblables. Lui préfère suivre ses fiches, et souvent s’en détacher pour commenter les sujets diffusés : rencontres « sympathiques », reportages « formidables », images « superbes »...

    En dépit d’un vocabulaire finalement assez pauvre, rien n’est trop beau aux yeux de Pernaut.

    La sémiologue Virginie Spies commente :

    « Le 13 heures de Pernaut est un lieu où l’on parle des petits bonheurs de la vie, où l’on montre le monde tel qu’il devrait être, où l’on évoque des joies et des plaisirs du passé, comme si tout ce qui était moderne était dangereux.

    En réalité, le JT de Pernaut n’est pas un journal d’informations, mais plutôt un magazine sur la France. »

    Auteur en 2006 du livre « Le Bonheur ou l’art d’être heureux par gros temps », le philosophe Jean Salem ne dit pas autre chose :

    « Le journal de Pernaut produit un effet narcotique sur le téléspectateur : il rend lisse un monde plein d’aspérités, et se contente de procurer une détente de l’esprit. Il n’appelle à aucun effort intellectuel, et tend à rassurer dans un monde en perte de repères. »

    « Une fonction apaisante » qui n’est pas « déplaisante en soi »

    Idées pour voyager, pour se reposer, pour bien manger... En distillant des images heureuses à longueur de JT, Pernaut suscite chez celui qui le regarde un désir de mieux-être.

    « Le bonheur se trouve aujourd’hui dans une accumulation de brèves images de plaisir, plutôt que dans un état plus stable, plus équilibré », commente Jean Salem. « Cette fonction apaisante n’est pas déplaisante en soi, mais faire rêver un téléspectateur – ne serait-ce que le temps éphémère d’un JT –, est-il le rôle d’un journal d’information ? », s’interroge Guy Félix Duportail, professeur de philosophie à l’université Paris-I.

    « En face, les chaînes ne peuvent rivaliser. Le jour où France 2 concurrencera le 13 heures de TF1, c’est que France 2 ne fera plus d’infos. Voilà pourquoi je dis que Pernaut et son JT ont encore de beaux jours devant lui », affirme la sémiologue Virginie Spies.

    « JPP » le sait bien : en 2008, interrogé par Le Figaro, il donnait « rendez-vous dans dix ans » à ses fans. Nous sommes en 2011, il reste encore sept ans à boire du Pernaut à 13 heures. Santé !

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