Profitez-en, après celui là c'est fini

Jésus et l’ordinateur

juillet 30th, 2011 Posted in indices, Personnel | 18 Comments »

En matière de religion, il y a des choses que la science n’explique pas. Elle est impuissante, par exemple, à me faire comprendre pourquoi je ressens constamment le besoin d’embêter les croyants sur leur foi, pourquoi je ne peux pas m’empêcher de leur fournir mes meilleurs arguments de la non-existence de Dieu, alors même que je sais très bien que la foi ne se nourrit pas d’arguments mais uniquement du besoin de foi, du besoin de croire, du besoin qu’il y ait un sens ou une harmonie à leur existence ou au monde, et que pour ceux qui ressentent ce besoin de manière si impérieuse, les arguments rationalistes, logiques, historiques, et parfois même théologiques, sont des menaces et une source de désespoir.

Peut-être que ma façon de faire procède d’une forme de jalousie puisque je sais par les statistiques que, à conditions d’existence comparables, les croyants vivent en moyenne un ou deux ans de plus que les autres, et que par conséquent, mon incapacité à me soumettre me coûte deux ans d’espérance de vie. Peut-être que c’est une forme d’auto-défense, puisque je sais que les prêtres et les religions, qui « hackent » le besoin de croire depuis la nuit des temps, ne sont jamais aussi dangereux et aussi avides de pouvoir temporel que quand on leur laisse le champ libre. De même qu’un chien est dangereux pour ses propriétaires lorsqu’il n’est pas dressé, la religion est nuisible à l’espèce humaine lorsqu’elle méconnaît sa place. Je suppose que certains lecteurs seront choqués à ce stade, mais qu’ils y réfléchissent bien : en remisant la religion dans l’espace privé, la laïcité telle qu’on l’entend en France leur a offert la liberté. Ce n’est pas une question de foi, de conviction, mais bien une question de pouvoir, et d’ailleurs le pouvoir a toujours été la seule vraie question des religions.

spacer

À côté d'une église gerçoise, on peut poser en templier... Imaginez le scandale national si, aux abords d'une mosquée de la région parisienne, on pouvait poser en Saladin.

La tuerie de l’Île d’Utøya a, c’était prévisible, suscité de nombreux débats en seulement une semaine. Je me moquerais bien de la capacité qu’ont eu les blogueurs et les éditorialistes à fournir mille et une analyses impromptues sur le sujet si je ne l’avais pas fait moi-même.
Parmi les réactions qui m’ont intéressé se trouvent celles des chrétiens fervents, qui se sont trouvés piqués au vif par le fait qu’Anders Breivik ait été constamment qualifié de « chrétien fondamentaliste ». Ils refusent d’être associés à un tel personnage, et on les comprend. Il est vrai que le meurtre de masse n’est pas explicitement recommandé par les évangiles, même s’il s’en est pratiqué plus d’un en leur nom, et il est évident aussi que la quasi-unanimité des croyants, quelle que soit leur religion, du reste, ne peuvent pas se reconnaître dans ce genre d’action. Mais en même temps, c’est assez évident : est-ce que quelqu’un pense que sa sympathique cousine catho-Télérama pourrait avoir l’idée de poser des bombes et de tuer des jeunes militants ? Et cette connaissance, plus antipathique, bien plus proche de la xénophobie1 d’Anders Breivik, qui se revendique du christianisme pour dire, par un raisonnement tordu, sa peur ou sa haine des français « issus de l’immigration », la croyons-nous capable d’un meurtre ? Bien sûr que non.

spacer

L’autre jour j’ai tweeté « Les chrétiens refusent d’être associés à Anders Breivik : bien ! Peut-être comprendront-ils mieux les 99,99% de musulmans non alqaedistes ? ». À ma grande surprise, cette phrase dont le contenu lapidaire (twitter ne permet d’écrire que des phrases de cent quarante caractères) me semble assez évident, sinon banal, a fait débat et a été re-tweetée — ce qui signifie aussi soutenue — plus de quatre-cent fois, ce qui est un succès important, il me semble. Plusieurs personnes se réclamant du christianisme y ont vu une attaque à leur endroit, mais ce n’était pas le cas bien entendu, je voulais simplement dire que la manière dont les musulmans sont associés, dans le discours ambiant, aux groupes terroristes, est une injustice. Je connais beaucoup de musulmans, amis, connaissances, étudiants,… certains sont musulmans comme je suis catholique, d’autres sont pratiquants, parfois très pieux. J’en connais qui vivent mal certaines injustices ou qui vivent mal ce qu’ils croient être des injustices, mais je n’en connais aucun qui soutienne de près ou de loin les actes terroristes qui ont pu être perpétrés au nom de leur religion2. Et pourtant, ils doivent subir cette réputation épouvantable de poseurs de bombes en puissance. Les médias français, par exemple, qualifient de « musulmans modérés » les musulmans qui mènent une vie normale et moderne. Modéré, ça signifie « qui se retient », « qui reste prudent », « qui sait rester sage » ?… Un journal télévisé aurait-il l’idée de dire « Les chrétiens modérés affirment ne pas soutenir les méthodes d’Anders Breivik même si certains comprennent ses motivations. La police renforce la surveillance des églises » ? Le contenu implicite d’une telle phrase est odieux, et pourtant, c’est ce qui se diffuse en toute impunité tout au long de l’année dans les médias, si ce n’est que ce sont les musulmans qui sont visés et non les chrétiens.

spacer

À la suite de mon tweet, beaucoup de mes contradicteurs se sont sentis obligés de me faire des cours sur l’Islam et sur le Coran, en me prouvant par les textes que, ontologiquement, la religion musulmane était moins pacifique que celle des chrétiens. Il est évident de Mahomet était un prophète en même temps qu’un chef de guerre, mais on peut dire exactement la même chose d’un grand nombre de rois, de patriarches et de juges d’Israël dans la Torah. Quand Moïse reçoit la terre promise « en héritage », Josué est chargé d’aller la conquérir en faisant disparaître ses habitants3.
La première objection que l’on me fait généralement à ce stade est que la Torah est un livre d’histoire, et que les Chrétiens, qui l’appellent « ancien testament » ne se fient qu’au qu’au « nouveau testament », c’est à dire les quatre évangiles auxquels ont été ajoutés quelques textes canon et deux millénaires d’exégèse. Cette objection ne concerne que les Catholiques, qui ont décrété la supériorité du Nouveau Testament sur l’ancien, établie par Saint-Paul, si je ne dis pas de bêtises. Mais de nombreux Chrétiens dans le monde, parmi les protestants, ne sont pas dans le même état d’esprit et voient la Bible comme un tout. Mais même en dehors de ça, le christianisme originel est une religion que l’on peut soupçonner de ne pas avoir été que spirituelle. De nombreux philologues, y compris chrétiens, pensent que les évangiles contiennent un message clairement nationaliste : Jésus voulait bouter le Romain hors de Palestine, et ses actions n’ont pas été forcément aussi pacifiques que ne le disent les textes. Si son histoire est vraie et si elle s’est bien déroulée à l’époque dite (ce dont on n’a pas de preuve formelle), alors la brutalité de la réaction des autorités romaines ne peut s’expliquer que par le fait que l’action de Jésus et de ses compagnons était hostile à l’occupant. Si cela est avéré, il est ironique qu’un groupe d’extrémistes locaux opposés à l’impérialisme romain aient engendré, cinquante ou cent ans plus tard, une religion à vocation universelle, installée… à Rome.
Tout ça est assez passionnant — l’histoire est une affaire passionnante.

spacer

Dans un éditorial assez bête, Jean-Pierre Denis, directeur de La Vie, explique qu’il est injuste de relier Anders Breivik au christianisme, puisque la seule preuve de son appartenance religieuse est le fait qu’il a indiqué être chrétien sur sa page Facebook. Après quoi, l’auteur du texte trouve le responsable, ce n’est pas Jésus mais le jeu vidéo et, surtout, le réalisateur Lars Von Trier, puisque Breivik affirmait (toujours sur sa page Facebook, qui devient donc fiable lorsqu’elle apporte de l’eau au moulin de J.-P. Denis) que Dogville était son film préféré et puisque Lars Von Trier avait été expulsé du festival de Cannes cette année après avoir tenu des propos douteux sur le nazisme4.
Sur le site néocon5 Atlantico, Jacques de Guillebon, bigot télégénique à l’air très gentil trouve quant à lui comme responsables du massacre suédois le néo-libéralisme et voit en Breivik « un personnage de Dantec qui assassine en masse ses contemporains perdus pour ne pas devenir un héros de Houellebecq ». Un peu léger sur l’histoire (doit-on rire des croisades et de la Saint-Barthélémy) et visiblement excédé, l’auteur explique que « Les neuneus qui vont répétant en masse sur la place du village depuis au moins quarante ans que « toutes les religions se valent » et que tout ça, c’est facteur de violence, forcément, ma bonne dame, et pis les croisades et la Saint-Barthélémy je vous raconte pas, et j’en passe et des meilleures, seraient bien inspirés – si ce mot fait encore partie de leur vocabulaire athée – de réviser leurs leçons et d’histoire religieuse et de théologie ». Avec une ironie un peu douteuse, il se demande « Où donc un « fondamentaliste chrétien », c’est-à-dire, imaginons-nous, quelqu’un qui serait aller chercher dans les textes paléo-chrétiens les motifs de sa boucherie, aurait-il pu trouver cette matière ? Chez Jésus le crucifié par amour, la victime volontaire ? Voilà qui tient parfaitement debout. Chez Paul, le citoyen romain décapité ? Evidemment. Chez Pierre, le chef des apôtres mis en croix la tête en bas par humilité devant son seigneur ? Chez Jean l’exilé de Patmos ? Chez les innombrables martyrs des premiers siècles ? Raisonnement imparable ».

spacer

Aide-mémoire d'un curé, sur le pupitre d'une église de Tarbes

Je trouve ce dernier passage particulièrement intéressant car on voit bien à quel point un catholique convaincu peut être aveugle à la perversion sado-masochiste sordide qui est contenue dans les récits du début du christianisme et par leurs innombrables représentations : du sang, des crachats, de la douleur, de la torture. Et si cette violence aussi appartenait à l’inconscient collectif chrétien ? Par ailleurs, s’il me lit, je conseille à Jacques de Guillebon de jeter un œil attentif à l’histoire d’Ananias et Saphira (Actes des apôtres 5.1), qui montre Simon Pierre, fondateur de l’église catholique romaine, en gourou avide qui tue un couple d’adeptes parce que ces derniers ne lui avaient donné qu’une partie de leurs biens. Officiellement ce n’est pas lui qui les a tués, c’est Dieu, mais ça se passe dans ses appartements et il n’y a pas de témoins. Ce récit abominable est aujourd’hui encore utilisé lors de prêches pour rappeler aux chrétiens que l’on doit s’offrir tout entier à sa religion, ou sinon, gare !
On trouve des horreurs dans la Torah, on des choses suspectes dans les Évangiles, dans les actes, tout comme on en trouve dans le Coran. Ces textes sont bourrés de contradictions internes ou de propos obscurs.
Mon point de vue sur cette question est que ce n’est pas bien grave, car personne ne s’y fie. En fait la plupart des croyants n’ont pas ou peu lu leurs textes sacrés, et, lorsqu’ils les ont lus, n’ont pas cherché à les comprendre autrement que comme ils avaient envie de les comprendre, c’est à dire selon les codes moraux qui correspondent à leur éducation, à leur milieu et à leur époque. Leurs Dieux sont toujours personnels, c’est à dire qu’ils les font à l’image qu’ils voudraient qu’ils aient, ce qui correspond généralement à une sorte de parent de substitution, moralisateur et consolateur.

spacer

Lourdes

En fait, sauf particularismes locaux ponctuels (L’Inquisition, Jérôme Savonarole à Florence, les guerres de religion, la république théocratique de Jean Calvin à Genève, le régime des Dalaï-lamas jusqu’au douzième en tout cas, l’Arabie saoudite actuelle, l’Iran des mollahs, le régime Talliban en Afghanistan,… Je ne dis pas qu’on manque d’exemples, c’est vrai), les gens accordent leur religions à leur manière de vivre, plutôt que de laisser la religion leur dicter comment vivre. Bien entendu ils sacrifient à certains rites (parfois plaisants, qui célèbrent les étapes de la vie, comme le Baptême, l’accession au statut d’adulte, le mariage ou les funérailles), ils dépensent de l’argent (a priori aucun Dieu n’a vraiment besoin d’argent pour lui-même mais on en réclame beaucoup en leurs noms, c’est même l’unique constante des religions depuis que l’argent existe en tout cas) et ils construisent de beaux lieux sacrés et des œuvres d’art pour les meubler.

Grand bien leur fasse — personnellement j’adore visiter les beaux édifices religieux et je nourris même une passion malsaine pour la visite de la ville de Lourdes. Je suis même persuadé que certaines personnes parviennent à développer une pensé fine et pertinente bien qu’ils le fassent en s’appuyant sur leurs convictions religieuses. En revanche, tout le monde n’a pas besoin de foi, et les croyants n’ont aucune légitimité à imposer les commandements religieux de leurs dieux éternellement muets (qui ne dit mot consent ? commode !) à ceux qui n’ont pas envie d’y souscrire. Le message de l’oppression religieuse, de la coercition religieuse, ce n’est pas la religion, et encore moins la morale mais bien l’oppression.

spacer

Quelqu’un me demandait, toujours sur Twitter, si j’étais croyant.
Je suppose que j’ai laissé, dans les lignes qui précèdent, suffisamment d’indices du fait que je suis ce qu’on appelle un athée. Mais néanmoins je crois à des tas de choses, y compris à des faits d’ordre « spirituel », tel que l’amour, que l’on peut ramener à la biologie et à l’éthologie si l’on veut, mais qui n’en est pas moins un sentiment que l’on peut expérimenter (et que, comme on peut expérimenter la foi en l’absence de Dieu, on peut ressentir de l’amour en l’absence de réciprocité ou même en l’absence d’objet véritable — vers 7-8 ans, j’étais éperdument amoureux de Natacha Romanov, dite « la Veuve Noire », qui sautait de building en building dans les aventures du héros masqué Daredevil).
Je crois aussi très fort aux fantômes. Pas les fantômes d’histoires de fantômes, non, je crois à des fantômes rationnels, comme tous ces indices qui nous donnent pendant quelques secondes l’impression que quelque chose de disparu vit toujours. Une odeur d’encaustique ou de parfum qui nous ramène brutalement au souvenir d’une grand-mère qui n’est plus là, une pochette de disque qui nous rappelle un ami mort prématurément, et pourquoi pas, une vieille pierre qui nous rappelle que des gens dont on ne sait rien ont vécu à un certain endroit il y a très longtemps, et qui nous donne une petite idée de ce qu’était leur vie. Et puis bien sûr les livres, les films, les ouvrages d’art, tous ces objets qui parviennent à ce qu’une pensée, un regard ou un mouvement survivent à leurs propriétaires. Bien sûr ils n’ont que le sens que nous voulons leur prêter, les fantômes sont en nous, mais c’est un genre de revenants dont j’aime bien me faire accompagner.

spacer

Ce qui me rappelle une histoire. Je suppose que ça date de la fin des années 1970, disons en 1978. Tous les mercredis, j’avais catéchisme.
Ma mère a été élevée dans le protestantisme, avec un père athée et une mère plutôt croyante. Mon père a été scout et écolier chez des frères maristes,  mais sa mère était totalement athée et je crois que c’est le cas de son père aussi, quoique l’un et l’autre aient été « légalement catholiques », c’est à dire baptisés et ayant fait leur communion. Pas particulièrement croyants (ou même sans l’être du tout je pense, mais je n’ai pas à parler à leur place), mes parents ne m’auraient jamais poussé à aller au catéchisme, même s’ils l’avaient fréquenté eux-mêmes pendant leurs enfances respectives, mais ils ne m’ont pas non plus empêché d’y aller. En fait, je voulais absolument le faire car un copain me l’avait vendu comme une espèce de cours de dessin, ou mieux, comme un endroit où on pouvait dessiner tout le temps pour son plaisir. Et c’est vrai que j’ai dessiné, un peu, que j’ai pu discuter, aussi — en comprenant malgré tout assez vite qu’il n’était pas question que les discussions dévient trop de sujets obscurs dont tout le monde faisait malgré tout mine de comprendre le sens profond : « l’esprit saint », « le mystère », « la bonne nouvelle », « la lumière », « le chemin », « la voie », enfin tout un tas de notions théologiques ou d’indications topologiques suffisamment vagues, suffisamment creuses, pour que l’on puisse les remplir à l’envi de ce qu’on voulait, de ses propres espoirs : « Ça, c’est la caisse. Le mouton que tu veux est dedans — C’est tout à fait comme ça que je le voulais ! »6. J’ai toujours été assez terre-à-terre et ce genre de choses ne fonctionne pas sur moi, j’aime savoir de quoi on me parle exactement.

spacer

Le curé était un hollandais (ou un belge néerlandophone ?) de près de deux mètres qui parlait avec un accent difficilement intelligible. On savait qu’il avait été marié, que sa femme l’avait abandonné et qu’il était devenu prêtre ensuite. De temps en temps il prenait un air terrible de prédicateur fou. Je me rappelle d’une homélie particulièrement enflammée qu’il avait consacré à expliquer le choc pétrolier à ses paroissiens : l’église chauffait au fioul et il ne voyait pas comment s’en sortir.
C’était un personnage solitaire, un peu pathétique, au point que je me suis senti forcé de me dévouer lorsqu’il lui a fallu un enfant de chœur pour l’assister lors de la messe. Ce qui fait que, agnostique (à l’époque je me considérais comme agnostique, c’est à dire comme athée, mais assez poli envers les croyants pour dire « je ne sais pas »), enfant d’agnostiques, je me suis retrouvé chaque dimanche à porter une aube, des cierges, des rameaux, à tester des micros et à lire des épitres aux Corinthiens sans rien y comprendre. Cette affaire s’est terminée un jour très triste, où l’on enterrait la mère d’un de mes meilleurs amis, dont la mini Austin avait été percutée à un carrefour par un camion. J’ai lu un texte, dont je ne me souviens plus le contenu, mais dans lequel figurait le mot « inimitiés ». Mot dont je n’avais jamais entendu parler et que j’ai prononcé « intimités ». Toute la nef est partie dans un éclat de rire qui m’a semblé interminable et qui m’a mortellement vexé. Après l’office j’ai dit au curé que je quittais ma fonction.

spacer

Psaume 127 : «Ta femme sera dans ta maison comme une vigne généreuse, et tes fils, autour de la table, comme des plants d'olivier». Ce texte, qui développe une vision un peu décorative de la famille, lu pendant une messe de mariage récemment, a bien souffert : mal photocopié, mal transcrit («fils» devient «films» - une blague du correcteur d'orthographe de Word ?), il était lu par une amie des époux qui ne parvenait pas à le déchiffrer. Dans une indifférence générale.

Pendant mes années de catéchisme, j’ai appris que les curés pouvaient se mettre en colère ou demander à une de leurs ouailles de mentir, que les dames de catéchisme pouvaient être véritablement méchantes, que les croyants pouvaient être eux aussi très éloignés de la morale de bon sens qu’étaient censées dispenser les évangiles. Mon épiphanie a été celle-ci : j’ai découvert que la religion servait souvent à faire de la morale une affaire mystique, spirituelle, mais certainement pas pragmatique, et donc, finalement hypocrite. J’avais l’impression d’être le seul gentil tout en étant (et ça je l’ai su tout de suite) le seul à n’être pas croyant.
Il m’arrive de temps en temps d’aller à une messe — mariage, enterrement —, et je constate toujours avec une pointe d’horreur que mon conditionnement, autant dire mon dressage, n’a pas été totalement raté : je sais quand il faut se lever ou s’asseoir et mes jambes le font toutes seules. Je sais quand on doit chanter, je me souviens des prières moi qui n’ai jamais pu retenir un poème ou une chanson, et le signe de croix me vient spontanément, contre mon gré, au moment où on est censé le faire. Perturbant.

La salle où se faisait le catéchisme était un préfabriqué assez laid. Sur le mur, une image me fascinait. Elle est sans doute perdue pour toujours, alors je la recrée de mémoire ici :

spacer

C’était un listing informatique (dont je ne suis pas sûr du tout que le papier ait été vert et blanc, à bien y réfléchir) sur lequel était dessiné la figure du Christ (ou plus précisément, le visage qui a marqué de son empreinte le célèbre suaire de Turin), en caractères imprimés. C’est sans doute idiot à dire aujourd’hui, mais comprendre que des lettres imprimées mécaniquement pouvaient dessiner quelque chose7 m’a ouvert à tout un monde. Ensuite, ce dessin émanait d’un ordinateur. À l’époque, bien sûr, personne n’avait d’ordinateurs et on savait à peine à quoi cela servait. Un paroissien qui travaillait chez IBM avait offert l’image au curé, et je sentais que pour cet homme elle était chargée de sens, que c’était pour lui une sorte de preuve confuse que la modernité n’était pas l’ennemie victorieuse de la foi, ou que l’esprit saint était plus fort qu’une machine à penser, que le mysticisme ou la spiritualités dépasseraient toujours le raisonnement froid et logique.
Enfin c’est ce que je suppose qu’il pensait.

  1. Comme le dit André Gunthert avec raison, le racisme disparaît au profit de la xénophobie. Lire : Martine et le terroriste, ainsi que les commentaires de l’article. [↩]
  2. J’exclus la Palestine de la question, car la question palestinienne n’est pas une question religieuse même si les musulmans se sentent concernés par le sort des palestiniens, tout comme les juifs, et c’est bien normal, se sentent concernés par le sort des israéliens. [↩]
  3. Dans la Bible, le retour des juifs en Israël a été permis par le massacre de ceux qui y résidaient, mais l’archéologie tend à prouver que les choses se sont en fait passées très différemment : la réalité historique de la captivité en Égypte et de l’Exode sont remis en cause, les hébreus et les habitants de la terre de Canaan étaient les mêmes, l’histoire juive s’attribue un génocide imaginaire. C’est en tout cas ce qui est conclu dans  La Bible dévoiléespacer , passionnant ouvrage (certes contesté de tous bords) d’Israel Finkelstein et Neil Asher Silberman. [↩]
  4. Ceux qui ont visionné la totalité de la conférence de presse que Lars Von Trier a conclu par la déclaration  « Ok, je suis un nazi » ont trouvé très injuste le procès médiatique qui lui a été fait. On était en droit de trouver son humour douteux mais pas d’y voir autre chose que de l’humour il me semble. [↩]
  5. Le mot Néocon n’est pas un gros mot, il s’agit de l’abréviation consacrée pour la notion anglo-saxonne de neoconservative, « néo conservateur ». Évidemment, en français, ça sonne curieux. Mais tout bien pesé… [↩]
  6. Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Princespacer . [↩]
  7. L’utilisation de lettres mécaniques pour dessiner n’est pourtant pas neuve, cf. ce document trouvé dans Popular Mechanics. [↩]

Des ennemis imaginaires qui font de vrais morts

juillet 24th, 2011 Posted in Images, Pas gai | 34 Comments »

(un texte décousu écrit à chaud)

Le contexte : le 22 juillet 2011 à quinze heures trente, à Oslo, une voiture piégée a explosé en plein centre-ville. Une heure et demie plus tard, sur l’île d’Utøya, située dans le lac Tyrifjorden, à l’Ouest de la capitale, un homme déguisé en policier armé d’un fusil d’assaut et prétendant venir assurer la sécurité ouvrait le feu sur les participants à une université d’été de jeunes travaillistes.

spacer

Photo par Alejandro Decap (fiiup/FlickR), Creative Commons BY-NC-ND 2.0

Le même jour, la rédaction du journal de France 2 a préféré ouvrir son édition sur le tour de France. Le bilan humain dépasse les quatre-vingt dix morts. Au moment où j’écris, tout laisse croire que le responsable du carnage, qui a pu être arrêté vivant, a agi seul. Cet homme se dit nationaliste, chrétien et d’extrême-droite, en lutte contre l’islamisation, le marxisme et la multiculturisation.

Il se nomme Anders Behring Breivik et est un fermier norvégien1, norvégien « de souche », précisent les journaux français.

spacer

Le terme « de souche », généralement appliqué aux français, me semble de plus en plus souvent employé par la classe politique et dans la presse, depuis quelques années. Personne ne se donne la peine de théoriser cette notion, comme si elle allait de soi. À ma connaissance, la locution, empruntée à la généalogie, a longtemps été employée en association avec un adjectif : français de souche italienne ; de souche gauloise ; de souche gréco-romaine ; de souche espagnole ; de souche polonaise ; de souche franque ; de souche anglo-normande ; de souche catholique ; de souche protestante ; de souche lorraine ; de souche indigène.
Les fantasmes nationalistes, la période coloniale et la montée de l’antisémitisme à la fin du XIXe siècle ont fait le reste et « de souche » est devenu un substantif censé indiquer la stabilité géographique très ancienne des ancêtres de la personne désignée par l’expression. La première mention claire et répétée que j’ai trouvé du mot en fouillant un peu Gallica et Google books provient du livre La France aux français (1892), écrit par un dénommé Ed. Marchand — a priori sans rapport avec le promoteur du Music-Hall en France à la même époque, Édouard Marchand. L’auteur expliquait que les français, qui étaient selon lui la générosité et la franchise incarnée, devaient prendre garde à ce que ces qualités ne soient pas gâchées par des étrangers, étrangers qui, expliquait-il, affluaient massivement, encouragés par l’enthousiasme laxiste issu de l’universalisme de 1789. Et ces étrangers (« et juifs », précise-t-il souvent), viennent occuper des emplois, fonder des banques et s’enrichir sans s’être donné la peine d’apprendre ou de comprendre les valeurs du pays antérieures à la Révolution française. Rétrospectivement, il se dit qu’il aurait fallu organiser des cours de francisation afin que la nationalité ne soit pas offerte sans contrepartie mais bien méritée, notamment pour toute personne désirant accéder à des fonctions politiques: « Ce fut un tort à nous de ne pas leur faire faire un stage pendant lequel ils eussent appris nos besoins, nos aspirations, avant de leur accorder l’accès de ces hautes fonctions ».

spacer

Après la guerre de 1914-1918, les alsaciens réintégrés à leur «patrie» étaient considérés avec une grande méfiance. Ils ont alors été séparés en catégories : français de catégorie A (français qui le seraient resté sans la guerre de 1870), de catégorie B (dont un parent n'est pas de catégorie A), C (dont les parents viennent de pays neutres) ou D (dont les parents viennent de pays ennemis). La lettre était indiquée sur la carte d'identité de chaque Alsacien et leur donnait des droits différents. Je n'ai pas retrouvé le décret qui institue cette distinction mais il semble qu'ici aussi on employait l'expression «de souche».

Il est amusant que cette rhétorique, jusque dans ses slogans, n’ait pas énormément évolué entre la fin du XIXe siècle et aujourd’hui, avec le Front National ou les branches les plus infréquentables de l’UMP.

Les nationalistes racistes — c’est à dire ceux qui croient qu’on peut et qu’on doit établir un lien entre lignée, géographie et institutions (État ou religions par exemple), et se faire croire que tous ces éléments ont une valeur permanente immuable —  ne sont pas mathématiciens, en général, ni généticiens2, ni démographes, sinon ils verraient facilement qu’il vaut mieux éviter de se vanter de n’avoir que des ancêtres dont les lieux d’habitation ont été circonscrits à une petite zone géographique. Chaque être humain, né par le biais de la reproduction sexuée a deux parents qui lui transmettent chacun la moitié de leurs gènes — notons que les gènes, sauf mutation accidentelle, ne s’altèrent pas : notre patrimoine génétique fonctionne comme un paquet de cartes à jouer : mélanger un jeu de trèfle un jeu de pique ne produira pas du pifle ou du trèque, mais produira juste un jeu où co-existent les deux genres de cartes.

spacer

(mise à jour) Patrick Peccatte m'a suggéré l'utilisation du Books nGram Viewer de Google Labs pour surveiller l'occurrence de l'expression «français de souche» dans les livres. On remarque une petite poussée en vers 1850, qui ne concerne qu'un livre en fait (un voyage de Rodolphe Töpffer !) et où «français de souche» décrit la langue française. Puis un monticule vers 1880, une autre un peu avant guerre, une forte progression de 1950 à 1960 (Guerre d'Algérie), et une encore plus importante entre les années 1980 et 2000. L’occurrence de l'expression baisse pendant la décennie 2000-2010, tout en restant à un niveau important.

Le nombre de nos ancêtres est donc deux à la puissance du nombre de générations. Sur deux générations, nous avons deux puissance deux ancêtres, donc quatre grands-parents. Sur trois générations, nous avons deux puissance trois ancêtres, donc huit arrière-grands parents. Nous avons ensuite seize arrière-arrière-grands parents, puis trente-deux aïeux de cinquième génération, soixante-quatre de sixième génération,… Si nous estimons une génération à vingt-cinq années, nous avons deux-cent-cinquante-six ancêtres au bout de deux siècles, quatre-mille-nonante-six au bout de trois, soixante-cinq mille et quelques au bout de quatre cent ans, un million au bout de cinq cent… Cela semble raisonnable, mais au bout de mille ans, nous avons plus de mille milliards d’ancêtres, soit dix fois le nombre de personnes que l’on estime avoir vécu sur terre. Et au bout de deux mille ans, nous avons plus de cent mille milliards de milliards d’ancêtres. Il est évident que notre patrimoine génétique à chacun est truffé de doublons (qu’un même ancêtre soit commun à plusieurs branches de notre arbre généalogique). Plus ces doublons sont proches dans le temps et plus nous avons de chances d’avoir en doublon des gènes létaux ou porteurs d’affections génétiques, et de voir ceux-ci s’exprimer. La force de la reproduction sexuée réside dans son potentiel de diversité génétique. Peut-être qu’un jour la société Monsanto ou les eugénistes façon Aldous et Julian Huxley ou certains de leurs descendants spirituels parmi les transhumanistes, parviendront à une méthode scientifique pour que l’espèce humaine échappe à sa biologie, c’est à dire aussi à la reproduction sexuée (ce qui semblerait dommage à beaucoup je pense), et parvienne à se perpétuer à l’exacte, par parthénogenèse ou par mitose. En attendant ce moment, les humains sont bien forcés d’accepter que le brassage génétique est une question de survie. Les « races », inventées par les éleveurs pour obtenir des animaux aux caractéristiques précises (vaches laitières, chevaux de course,…) le démontrent assez bien : les animaux de race vivent nettement moins longtemps que les bâtards et développent beaucoup plus facilement des affections génétiques, ce que l’on observe particulièrement bien sur les animaux de compagnie, destinés à mourir de leur belle mort, mais pas seulement : certaines races agricoles ne peuvent plus naître ou survivre sans assistance humaine.

spacer

La série Babylon V, saison 1, épisode 4 (février 1994). "Quand on est obsédé par l'ennemi, on devient l'ennemi".

Toujours au journal télévisé, et même dans certains articles de la presse écrite, Anders Behring Breivik a abondamment été qualifié de « catholique », au point que je suis allé vérifier s’il était bien dans ce cas, rarissime en Norvège, mais évidemment, c’était un abus de langage, l’auteur du premier attentat terroriste jamais perpétré à Oslo est bien membre de l’Église de Norvège, une religion luthérienne institutionnelle. Les Catholiques ne sont pas spécialement aimés en Norvège. Je me souviens d’avoir vu là-bas, à l’occasion d’un référendum par lequel les norvégiens devaient accepter ou refuser d’entrer dans l’Union Européenne (1994), un tract posté dans les boites-aux-lettres du village de ma grand-mère (puisque je suis français de souche norvégienne !), qui expliquait par la numérologie et quelques coïncidences que le pape Jean-Paul II ne pouvait être que l’antéchrist annoncé par le livre des révélations, et que par conséquent, adhérer à l’Union Européenne, c’était l’assurance d’avancer la date de l’Armageddon. Je regrette de ne pas avoir conservé ce tract, il était photocopié, on y voyait le pape, des symboles divers, le nombre 666, l’ensemble tenait un peu du graphisme des fanzines punks qu’autre chose. Mais dans les pays protestants, en appeler à l’Apocalypse de J

gipoco.com is neither affiliated with the authors of this page nor responsible for its contents. This is a safe-cache copy of the original web site.