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Qu’apportent les digital humanities ? Quelques exemples (1/2)

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IMPRESSION REAGIR
L

orsqu’Hubert Guillaud, rédacteur en chef d’Internet Actu pose la question de l’utilité des humanités numériques dans un billet du blog qu’il anime sur l’édition numérique, La Feuille, il fait mouche. Après avoir montré à quel point ce secteur était en plein développement, il remarque cependant qu’il est parfois peu aisé d’en appréhender les retombées positives : « En tant que non-spécialiste, on a du mal à voir, à saisir l’apport de cette nouvelle forme de science, au-delà de ce qu’elle apporte pour le chercheur. On constate bien dans le Manifeste des Digital Humanities, qu’il y a d’abord cette volonté de faire communauté autour de l’intégration de la culture numérique dans les pratiques de recherche d’aujourd’hui. (...) On est beaucoup dans la structuration d’une discipline, alors qu’on souhaiterait surtout comprendre ce que ces outils apportent concrètement » [1].

Écrit il y a un peu plus d’un an, ce billet commence à se voir apporter quelques éléments de réponse, preuve s’il en fallait, que du temps est nécessaire à toute évolution scientifique pour porter ses fruits et les rendre visible en dehors des milieux de la recherche professionnelle qui la porte. On reconnaîtra dans les récents investissements de Google sur ce secteur un des signes les plus évidents que quelque chose d’important est en cours. L’appel à proposition que cette société a publié l’année dernière l’a conduit à financer douze projet de recherche en digital humanities [2]. L’outil Books Ngram viewer a fait plus de bruit : il permet à tout un chacun de mesurer et de comparer le nombre d’occurrences de termes quelconques dans l’énorme corpus d’ouvrages numérisés par le programme Google books. Cet outil doit permettre de visualiser l’évolution dans le temps de la « popularité » d’une notion à partir de la fréquence avec laquelle il est évoqué dans les publications du monde entier. Un article publié par une équipe de chercheurs dans le magazine Science [3] a tenté de donner une illustration de ce que les recherches en sciences humaines pouvaient tirer de l’utilisation de cet outils : il s’agit de rendre visible les « culturomics », les lois de la culture, rien de moins.

Emeutes et réseaux sociaux

Deux exemples plus récents viennent apporter un éclairage un peu différent et peut-être un peu plus novateur, sur ce que peuvent apporter les digital humanities en dehors des milieux professionnels de la recherche. Le premier d’entre eux est lié aux émeutes qui se sont déroulées à Londres entre le 6 et le 9 août de cette année. Ces événements aussi violents que soudains ont provoqué un électrochoc dans la classe politique britannique. La réaction venant de celle-ci, et en particulier du Premier Ministre ne s’est pas faite attendre : violente elle aussi, et essentiellement répressive, elle s’est placée uniquement sur la plan de la responsabilité - pénale- individuelle, écartant tout élément d’analyse qui puisse être social ou même collectif. En l’absence de facteur explicatif de nature sociale, une fois épuisé le renvoi pur et simple à l’absence de moralité des individus, c’est souvent la technologie qui est mise en cause. La presse britannique et les responsables politiques ont en effet rapidement accusé les systèmes de messagerie instantanée et les réseaux sociaux parce qu’ils auraient permis aux ’émeutiers’ de se coordonner et d’échapper à l’action de la police [4]. La condamnation de deux d’entre eux à quatre ans de prison pour avoir lancé un appel sur Facebook [5], quoique non suivi d’effet, est venu corroborer cette opinion. Et les conséquences politiques en découlent naturellement : ils s’agira lors de prochains événements de permettre à la police de couper temporairement les communications par voie électronique sur une zone donnée.C’est sur ce point d’analyse précis que quelques jours seulement après les événements, deux chercheurs en sciences sociales ont publié un article démentant catégoriquement les analyses avancées par les politiques. Dans cet article intitulé « Why Net Censorship in Times of Political Unrest Results in More Violent Uprisings : A Social Simulation Experiment on the UK Riots » [6], Antonio Casilli et Paola Tubaro mobilisent à la fois un modèle théorique et un outil de simulation sur ordinateur pour tester la proposition de Cameron : les réseaux sociaux ont amplifié les émeutes, couper les communications permettra de réduire l’ampleur de futures émeutes. Or, la « simulation sociale » qu’ils mettent en oeuvre, en modifiant la variable communication (renommée « vision » dans leur modèle) montre exactement le contraire : dans les situations de communication libre, on assiste sur une certaine durée de temps à de violentes mais brèves éruptions insurrectionnelles dans certaines circonstances. Dans des situations où la communication est coupée, les émeutes ont tendance à se prolonger indéfiniment sur un palier sans retour à la normale.

« Just in time sociology »

Mais l’originalité de la démarche des deux chercheurs réside aussi dans la stratégie de communication qu’ils utilisent pour faire connaître leur travail. Soumis à une revue de sociologie, l’article est rendu immédiatement disponible sur l’archive ouverte SSRN où elle atteint en quelques jours la tête de classement des articles les plus téléchargés. Une version légèrement différente est dans le même temps postée sur les blogs personnels d’Antonio Casilli et de Paola Tubaro, d’où il sera repris dans de nombreux médias et traduit en plusieurs langues à la vitesse de l’éclair à partir de l’anglais. Ainsi une version française est publiée sur le magazine en ligne Owni le 19 août [7]. L’article sera repris, cité et discuté dans de nombreux médias à partir de ce moment. On le voit, l’originalité de la démarche des deux sociologues réside autant dans le tempo de leur publication que dans la méthode mise en oeuvre. L’ensemble repose sur le principe de la rapidité. Il s’agit, écrit Antonio Casilli de ’just in time sociology’ dont on voit tout l’intérêt : il s’agit de répondre aux critiques que la classe politique et les responsables policiers, cités en début d’article, adressent aux sciences sociales en général : elles obéissent à un temporalité longue déconnectée de l’urgence de la situation et s’intéressent d’avantage à « comprendre » (lire justifier) les émeutiers plutôt que les combattre. L’article démontre au contraire que les sciences sociales peuvent éclairer l’action politique sur un point précis au moment où elle en a besoin, et, en utilisant les mêmes moyens de communication qu’elle, participer en temps réel au débat public.

Le cinéma du chaos : une critique

Autre exemple, récent lui aussi, mais sur un tout autre sujet. Il y a quelques jours, Matthias Stork, étudiant en études cinématographiques a publié sur le blog collectif Press Play une virulente critique des dérives les plus récentes du cinéma contemporain. Or, cette critique a pris la forme, non d’un article, ni même d’un billet rédigé ou d’un éditorial, mais d’une vidéo publiée en deux parties via la plateforme Vimeo [8]. Le propos du jeune chercheur est simple : la manière dont le cinéma populaire contemporain filme les scènes d’action en particulier n’obéit plus à aucune logique rationnelle ou narrative qui permette au spectateur de suivre et comprendre l’action qu’il est en train de regarder, mais à la volonté d’anesthésier son jugement en l’écrasant sous un flot démentiel et chaotique, un véritable déluge de violence et d’effets spéciaux. Ce phénomène, qu’il appelle « cinéma du chaos » a envahi la plupart des films d’action, mais pas seulement puisqu’il montre qu’on le retrouve aussi dans le genre de la comédie musicale. C’est ici le support de publication qui est intéressant : ce qui est présenté par Stork comme un « essai vidéo » est constitué exclusivement de dizaines d’extraits de films de différents genres et différentes époques que l’auteur commente en voix off. La démonstration de son argumentation repose dans les extraits choisis et leur juxtaposition. Alors que bon nombre de publications académiques dans ce domaine le sont encore au sein de revues imprimées accompagnées dans le meilleur des cas de photos fixes de scènes de films dont est fait le commentaire, on voit que le chercheur franchit plusieurs étapes d’un coup en adoptant un format similaire à l’objet qu’il étudie. C’est un des effets les plus importantes des digital humanities que de permettre de convoquer directement les sources de la recherche, qu’elles aient été numérisées ou qu’elles soient, comme ici, nativement numériques, dans les publications en ligne. Stork va ici plus loin puisque l’argumentation s’efface en voix off derrière le matériau lui-même qui accède au statut de preuve scientifique essentiellement du fait du montage qui en juxtapose les éléments les plus pertinents.

Quelles humanités (numériques) ?

Les deux exemples qui viennent d’être exposés se situent dans le mouvement des digital humanities non seulement parce qu’il mobilisent des moyens informatiques ou numériques dans le processus même de recherche, mais aussi parce qu’ils établissent une continuité avec les moyens de communication qui sont utilisés pour les disséminer. Ce sont de ce point de vue deux exemples d’un mouvement plus large qui a recours à des outils et des formes de communication en rupture avec celles établies jusqu’à présent par la tradition scientifique. On le voit, c’est le blog qui en est ici le vecteur essentiel, et on pourrait convoquer de nombreux autres exemples qui montreraient qu’il ne s’agit pas ici de cas isolés.Le récent colloque organisé à Paris par l’Institut Historique Allemand [9] en a fait la démonstration. Les travaux d’André Gunthert avec la communauté en ligne Culture Visuelle et la plateforme Hypothèses proposée par le Centre pour l’édition électronique ouverte en sont d’autre exemples. Qu’apportent les digital humanities, se demande Hubert Guillaud ?. Si la réponse ne semblait pas évidente jusqu’à présent, c’est d’abord parce qu’il lui manquait une réflexion pratique sur les modes de communication de la recherche en direction de la société à l’heure d’Internet. Les exemples les plus récents d’intervention des sciences humaines et sociales dans le débat public par de nouveaux canaux et sous des formes renouvelées montrent que la situation est en train d’évoluer.

Pour autant, ce qui apparaît comme une évolution positive parce qu’elle reconnecte la recherche et la demande sociale, parce qu’elle permet aux sciences humaines et sociales d’être de nouveau entendues à un moment où leur « utilité » est plus que jamais questionnée, en particulier par une classe politique conservatrice dominante en Europe, doit être interrogé. Car on peut se demander si, en s’adaptant au nouveau contexte, à la fois du point de vue des méthodes utilisées, mais aussi de la temporalité de publication et enfin des formes d’exposition, ces disciplines ne changent pas profondément d’objectif et de nature. Il est donc à ce point du raisonnement nécessaire d’examiner à nouveau le dossier, non plus à la lumière de son adaptation contemporaine, mais à celle des traditions intellectuelles qu’ont établi les différentes disciplines des sciences humaines et sociales. C’est ce qui fera l’objet de l’analyse de la semaine prochaine.

Notes

[1] Hubert Guillaud, « Qu’apportent Les Digital Humanities  ? », La Feuille, 2010 lafeuille.blog.lemonde.fr/20... [consulté 28 août 2011].

[2] Jon Orwant, « Our Commitment to the Digital Humanities », Official Google Blog, 2010 googleblog.blogspot.com/2010... [consulté 28 août 2011].

[3] Jean-Baptiste Michel et al., « Quantitative Analysis of Culture Using Millions of Digitized Books », Science, 2010 .

[4] Matthew Holehouse, « How Technology Fuelled Britain s First 21st Century Riot », The Telegraph www.telegraph.co.uk/news/ukn... [consulté 28 août 2011].

[5] Stéphane Long, « Quatre Ans De Prison Pour Incitation Aux Émeutes Sur Facebook », 01net, 2011 [consulté 28 août 2011].

[6] Antonio A. Casilli et Paola Tubaro, « Why Net Censorship in Times of Political Unrest Results in More Violent Uprisings : A Social Simulation Experiment on the UK Riots », SSRN eLibrary, 2011 papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm ?abstract_id =1909467 [consulté 28 août 2011].

[7] Antonio A. Casilli et Paola Tubaro, « Censure Des Médias Sociaux : Éléments Pour Une Sociologie Des Émeutes Britanniques  » , OWNI, Digital Journalism, 2011 owni.fr/2011/08/19/censure-r... [consulté 28 août 2011].

[8] Matthias Stork, »Chaos Cinema  : « The Decline and Fall of Action Filmmaking » , 2011 blogs.indiewire.com/presspla... [consulté 28 août 2011].

[9] Pierre Mounier, « Dans La Toile Des Médias Sociaux / Im Netz Der Sozialen Medien 27 – 28 Juin 2011 », Digital Humanities À l »IHA, 2011 dhiha.hypotheses.org/25 [consulté 28 août 2011].

REAGIR
  • Qu’apportent les digital humanities ? Quelques exemples (1/2) 30 août 2011 23:31, par patricedusud

    Tim Berners-Lee, l’inventeur du www il y a plus de 20 ans, lance aujourd’hui un vibrant et convaincant message pour la préservation de la neutralité du web et de sa liberté face à la multiplication des silos applicatifs dont le monde Apple est l’archétype.
    Il milite aussi pour la généralisation des linked data dont il démontre avec brio le potentiel dans la vidéo ci-dessous :
    www.ted.com/talks/tim_berner...

    Répondre à ce message

  • Qu’apportent les digital humanities ? Quelques exemples (1/2) 5 septembre 2011 04:04, par Hubert Guillaud

    Il me semble que la distinction que souligne Christian Fauré entre Digital Humanities et Cultural Analytics est vraiment très pertinente par rapport aux exemples que tu apportes, Pierre. www.christian-faure.net/2011...

    Répondre à ce message

INFOS

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date de publication:
28 août 2011

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Cette création est mise à disposition sous un contrat Creative Commons.

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auteur :
Pierre Mounier

Responsable éditorial d’Homo Numericus

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